Question orale du 26 mai 2020 de Sabine ROBERTY à Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes.
Ces dernières semaines ont été éprouvantes pour tout un chacun. La crise sanitaire a profondément bouleversé nos habitudes, nos repères et notre quotidien. Tous, à notre façon, nous avons vécu et géré les derniers événements de façon plus ou moins intense. Cet état de fait est plus prégnant encore pour les enfants. Comment ont-ils ressenti cette crise? Comment l’ont-ils comprise? Bien que nous en ayons beaucoup parlé, dans les faits, les plus jeunes seraient-ils les oubliés du confinement et du déconfinement? Les enfants ne sont pas suffisamment armés pour gérer leurs émotions, pas plus que pour appréhender et comprendre le monde qui les entoure. Du coup, comment ont-ils compris, par exemple, le fait qu’ils ne rentreraient pas tous à l’école? Comment ont-ils perçu l’information selon laquelle leurs parents avaient peur de les laisser retourner à l’école? Seraient-ils les supertransmetteurs du virus? Se pourrait-il que ces enfants aient cru, sans même pouvoir l’exprimer, que le problème venait peut-être d’eux? Ces questions ne vous sont pas adressées, Madame la Ministre, je les adresse à tout le monde. Au Canada, un récent sondage de la société Ipsos a mis en évidence l’influence négative de la pandémie sur la santé mentale des jeunes Ontariens. Trois enfants sur cinq seraient troublés, tandis que près d’un enfant sur quatre pense ne pas être en mesure de surmonter son anxiété. Parmi les changements observés chez ces enfants depuis le début de la pandémie, je retiens notamment les troubles du sommeil, les modifications dans les habitudes alimentaires, les crises ou l’extrême irritabilité et, enfin, les difficultés de concentration. À cela s’ajoutent évidemment les enfants qui, en période de confinement, ont été victimes ou témoins de violences intrafamiliales et n’en sortiront psychologiquement pas indemnes. Enfin, il convient de tenir compte des troubles post-traumatiques dont pourraient être victimes ces enfants, soit qu’ils aient été témoins ou victimes de violences, soit qu’ils aient été terrifiés par le phénomène de la pandémie. Madame la Ministre, vous en avez parlé en réponse aux précédentes questions: une série de pédiatres et spécialistes du monde de l’enfance prennent la parole aujourd’hui pour parler des plus jeunes, de leur bien-être, de leurs besoins et de leurs droits. Quelles informations et recommandations ont-elles été proposées aux parents pour favoriser l’équilibre psychologique de leurs enfants en cette période troublée? Par quel canal? L’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) continue à assurer les consultations téléphoniques. Accuse-t-il un nombre d’appels croissant concernant la santé mentale des enfants? L’ONE propose aussi une brochure à destination des parents pour aborder les émotions des enfants en période de confinement. Cette brochure est-elle exclusivement disponible en ligne? A-t-elle fait l’objet d’une promotion spécifique? Savez-vous dans quelle mesure elle a été téléchargée? À la manière du sondage de la société Ipsos, un monitoring de l’état psychologique des enfants est-il prévu dans les prochaines semaines? Dernièrement, le stress post-traumatique a été plusieurs fois soulevé dans les médias. Avez-vous eu des échanges avec le corps médical à ce sujet? Faut-il s’attendre à des atteintes psychologiques chez les enfants consécutivement à la pandémie? Les professionnels de l’ONE sont-ils formés pour détecter ce trouble psychologique très particulier? À l’avenir, les services de promotion de la santé à l’école (PSE) auront-ils un rôle particulier à jouer dans la détection et la prévention de troubles psychologiques liés à la pandémie du Covid-19?
Réponse de Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes.
Je suis évidemment préoccupée par l’impact des mesures de confinement sur le bien-être des enfants. Ce n’est plus une surprise! Le délégué général aux droits de l’enfant (DGDE), plusieurs pédiatres et acteurs de la santé mentale ont également exprimé leurs inquiétudes, à juste titre. J’ai salué la décision du comité de concertation réuni ce vendredi 22 mai 2020 de rouvrir les plaines de jeux cette semaine et de permettre l’organisation des camps et des stages cet été. Le comité de concertation a donc tenu compte de la situation des enfants qui ont subi de nombreuses privations pendant cette crise sanitaire. Aujourd’hui, après dix semaines sans contacts sociaux avec leurs pairs, ces enfants éprouvent un besoin essentiel de bénéficier d’une bulle d’air et d’un lieu tiers permettant de prendre le relais de la sphère familiale, que ce soit par l’intermédiaire des milieux d’accueil de la petite enfance (MILAC), de l’école ou des activités extrascolaires et parascolaires. Depuis le début de la crise sanitaire, différentes initiatives de soutien psychosocial se sont développées. Les numéros d’urgence et des services d’aide ont été largement communiqués et relayés, notamment ceux des équipes SOS enfants qui sont restées accessibles tout au long de la crise. Depuis le 18 mai 2020, la campagne commune pour la ligne 103 Écoute-enfants, Child Focus et les équipes SOS enfants, sur les violences intrafamiliales à destination des enfants et des adolescents, est diffusée sur les différentes chaînes de radio et de télévision de la RTBF ainsi que sur les réseaux sociaux. D’autres communications auprès des professionnels et du grand public ont été diffusées, notamment les brochures permettant d’aborder les émotions avec les enfants, les clés pour maintenir le lien avec ses proches et des outils expliquant comment aborder plus particulièrement le sujet du coronavirus avec son enfant. Plusieurs numéros de l’émission «Air de familles» ont été consacrés aux émotions et ont été diffusés de manière télévisuelle, ainsi que sur les réseaux sociaux depuis la fin du mois d’avril. Concernant votre question sur le nombre d’appels, sachez qu’il n’existe pas à l’ONE un recueil de données systématique relatif au contenu des appels reçus par les quelque 800 partenaires enfants-parents actifs dans les consultations ONE. Concernant le monitoring de l’état psychologique des enfants, l’ONE participe aux plateformes de santé mentale mises en place dans chaque province et à Bruxelles. Un monitoring des cas qui parviennent et parviendront aux services de première ligne pourra fournir des informations très utiles à cet égard. Par ailleurs, plusieurs études sont en cours, notamment «L’impact du confinement sur les familles et les parents en particulier» par l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), l’«Étude sur l’impact psychologique (émotionnel et comportemental) de l’épidémie COVID-19 chez des enfants de 4 à 14 ans» par l’Université de Liège (ULiège), «L’anxiété chez les 3-25 ans liée au confinement et à l’épidémie» par l’Université de Mons (UMONS) ou encore, l’«Étude corona», une initiative de l’Université d’Anvers en partenariat avec l’Université libre de Bruxelles (ULB), l’Université d’Hasselt (UHasselt) et la Katholieke Universiteit Leuven (KU Leuven). Enfin, pour répondre à votre question sur le syndrome du choc post-traumatique, les professionnels de l’ONE comme ceux des services PSE sont évidemment attentifs à toute forme de souffrance ou d’éventuelles difficultés psychologiques chez les enfants. Ils relayeront les situations vers les acteurs des réseaux comme les services de santé mentale ou les centres psycho-médicosociaux (PMS).
Réplique de Sabine ROBERTY.
Madame la Ministre, je vous remercie pour vos réponses qui témoignent de votre attachement à cette matière. À travers mes nombreuses questions, j’ai évoqué une série de problèmes et, si je vous entends bien, les nombreuses recherches menées par les institutions universitaires déboucheront sans doute sur des solutions pour l’avenir. Nous aurons l’occasion d’en discuter quand cette crise sanitaire sera derrière nous. Je suis de celles et de ceux qui se tournent toujours vers la solution plutôt que vers le problème. Cependant, aujourd’hui, avec le déconfinement progressif, nous allons plus que probablement voir apparaître des problèmes que nous n’imaginions même pas. Avec la rentrée scolaire progressive, les enfants pourront se rencontrer à nouveau et discuter plus facilement avec leurs professeurs à l’école et leurs amis. Les langues se délieront. Le risque est grand de voir apparaître des problèmes insoupçonnables jusqu’alors. Ce sera un enjeu majeur pour demain!