Question orale du
17 novembre 2022 de Sabine Roberty à Bénédicte Linard, vice-présidente du
gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias
et des Droits des femmes.
Madame la Ministre, en 2020, vous
annonciez, avec les autres ministres chargés des Droits des femmes, l’adoption
du Plan intrafrancophone de lutte contre les violences faites aux femmes
2020-2024.
Ce plan fait de la lutte contre
toutes les formes de violences faites aux femmes une priorité de l’action
publique. Pour rappel, il comprend quatre axes politiques qui se déclinent en
18 objectifs stratégiques et en 65 mesures.
Le premier axe est consacré à la
collecte des données quantitatives et qualitatives sur toutes les formes de violence.
Il est primordial de mesurer, comprendre et analyser la situation afin de
développer une politique cohérente et coordonnée.
J’aimerais aujourd’hui revenir
sur la huitième mesure de cet axe qui prévoit de «Soutenir le secteur
associatif spécialisé dans le but de mener des projets visant à développer des
masculinités alternatives et positives face aux violences faites aux filles et
aux femmes». Il s’agit en effet d’un axe important, car, dans ce contexte, la
question de la masculinité est liée à l’étude des stéréotypes de genre et des
comportements masculins qui peuvent y être liés.
En pratique, la mesure vise à
financer le secteur pour dresser un état des lieux des outils existants, à
distinguer les différentes approches et également à se pencher sur les outils
qui existent au niveau international. Cette étude doit conduire à la
réalisation d’un outil adapté à nos réalités et à la création de formations. Un
projet pilote doit être lancé prochainement, en 2023.
Dès lors, pouvez-vous revenir sur
la mise en œuvre de cette mesure? L’état des lieux a-t-il été finalisé? Qu’en
ressort-il? Où en est la réalisation du projet pilote? Celui-ci pourra-t-il
être mené à bien en 2023?
Réponse de
Bénédicte Linard, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de
la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes.
Mesdames les Députées, selon le
blog Stop Feminicide, on dénombre au moins 20 féminicides en 2022, 22 en 2021,
27 en 2020, 24 en 2019, 39 en 2018 et 43 en 2017. Cela représente un total d’au
moins 194 féminicides commis durant ces sept dernières années. Ce chiffre est
sans doute largement sous-estimé et omet les centaines d’autres femmes victimes
de violences sexistes au quotidien.
Sous l’impulsion de la secrétaire
d’État Sarah Schlitz, le gouvernement fédéral a adopté, à la fin du mois
d’octobre dernier, un avant-projet de loi sur la prévention et la lutte contre
les féminicides. Ce texte va plus loin que l’approche strictement répressive
qu’aurait induite l’inscription du féminicide dans le Code pénal.
Je suis convaincue que la
prévention est une étape essentielle dans la lutte contre toutes les formes de
violence, en ce compris les plus graves telles que les féminicides. La future
loi fédérale répond à cette problématique en dotant la Belgique d’un ensemble
d’instruments dont le but est de renforcer les droits et la protection des
victimes de féminicide et de tentatives de féminicide.
Elle vise également à organiser
le recensement de ces crimes et les différentes formes de violence qui peuvent
précéder un féminicide, comme la violence sexuelle ou psychologique ou le
contrôle coercitif. Le texte de l’avant-projet de loi n’a pas été discuté en
CIM Droits des femmes, mais certains aspects l’ont été lors des présidences
antérieures. Je pense notamment à la problématique de la récolte et de
l’enregistrement des données et chiffres relatifs aux victimes.
Aussi, des échanges entre le
gouvernement fédéral et les entités fédérées ont eu lieu lors de l’élaboration
du Plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre
2021-2025, d’une part, et au sein du groupe interdépartemental chargé de son suivi,
d’autre part.
Le plan d’action national prévoit
différentes mesures visant la lutte contre les féminicides, la définition des
termes, l’enregistrement des données, ainsi que la formation des policiers et
des magistrats.
Les répercussions de cette politique
fédérale sur les compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles se feront
surtout sentir dans la politique relative aux maisons de justice. C’est
pourquoi je vous invite à interroger la ministre Glatigny à ce sujet.
Je n’ai pas été invitée à intégrer
le futur comité interdisciplinaire. S’agissant d’un organe dont la mission est
de formuler des recommandations au gouvernement, il ne me semble pas opportun
qu’une ministre y siège, d’autant plus que plusieurs lieux de concertation
entre le pouvoir fédéral et les entités fédérées existent déjà.
Les actions menées spécifiquement
par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans la prévention et la lutte contre les
violences faites aux femmes figurent dans l’axe n° 1 du Plan «Droits des
femmes». Celui-ci comprend 33 mesures et sousmesures couvrant 68 projets.
Une évaluation intermédiaire de
la mise en œuvre du plan est en cours. La Direction générale de l’égalité des
chances a débuté son travail au mois de mars et nous a communiqué un projet de
rapport la semaine dernière. D’ailleurs, 75 % des mesures de l’axe n° 1
seraient réalisés ou en cours de réalisation.
Les membres du comité de suivi du
plan ont également reçu le projet de rapport et en discuteront lors de la
séance du 17 novembre. Il ne serait pas courtois que je vous communique son
contenu avant que le comité de suivi en discute et que le gouvernement
délibère. Je veux toutefois être rassurante: il est prévu qu’une fois le
rapport d’évaluation adopté par le gouvernement, son contenu soit transféré au
Parlement. Nous aurons donc prochainement le loisir d’échanger sur sa mise en
œuvre, sur les mesures qu’il faut encore prendre et sur celles qui ont déjà été
prises.
Les lignes d’écoute, tchats et
autres applications constituent des outils indispensables dans le domaine de la
lutte contre les violences.
Chaque entité finance et/ou
développe ses initiatives. La Fédération Wallonie-Bruxelles n’est pas en reste.
Tout d’abord, en partenariat avec la ministre Glatigny, je finance la ligne d’écoute
SOS Viol dont les horaires d’écoute ont été élargis en 2021. Une convention de
financement pluriannuelle court jusqu’à la fin de l’année 2023. Un comité
d’accompagnement se réunit deux fois par an. Il discutera, en 2023, du
financement pour l’année 2024 et de ses modalités.
Ensuite, j’ai soutenu le
déploiement de l’application App-Elles il y a près d’un an. Un comité
d’accompagnement se réunit tous les six mois pour, entre autres, évaluer
l’impact de cette application et orienter ou réorienter la communication qui
l’entoure afin qu’elle soit téléchargée le plus possible.
Enfin, nous menons régulièrement
des campagnes visant à rendre les lignes d’écoute plus visibles, qu’il s’agisse
de SOS Viols, de la ligne «Écoute violences conjugales», du Réseau mariage et
migration ou de l’application App-Elles. Les supports et les lieux de diffusion
de ces campagnes sont adaptés aux publics visés: affichage papier, réseaux
sociaux, transports en commun, etc.
La généralisation de l’EVRAS en
milieu scolaire est actuellement régie par le protocole d’accord du 20 juin
2013 entre la Communauté française, la Région wallonne et la Commission
communautaire française de la Région de BruxellesCapitale, relatif à la
généralisation de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle
(EVRAS) en milieu scolaire. Celui-ci est en cours de révision. À l’instar des
ministres Daerden et Glatigny, je suis partie prenante de ces discussions. Les
travaux sont menés par la ministre Caroline Désir pour la Fédération Wallonie-Bruxelles,
en collaboration avec la Région wallonne et la Commission communautaire
française (COCOF).
Vous m’interrogez également au
sujet de la mesure n° 8 du Plan intrafrancophone de lutte contre les violences
faites aux femmes 2020-2024. Celle-ci vise à soutenir le secteur associatif et
à encourager des projets liés au développement des masculinités alternatives et
positives. Sa mise en œuvre est prévue pour l’année 2023 pour une durée de
trois ans. Il s’agit donc d’une des mesures prioritaires de l’année à venir.
J’en viens aux aspects
budgétaires. En Fédération Wallonie-Bruxelles, le budget spécifiquement
consacré au soutien du secteur associatif actif dans les droits des femmes a
augmenté de 50 % depuis l’instauration de ce gouvernement. Il s’élève dorénavant
à 1,5 million d’euros.
Les moyens consacrés à la
réalisation des mesures de l’axe n° 1 du Plan «Droits des femmes» seront a
priori mentionnés dans l’évaluation intermédiaire de la mise en œuvre du plan,
dont j’ai déjà parlé. Aussi, l’appel à projets Alter Égales 2023, d’un montant
de 350 000 euros, portera spécifiquement sur la lutte contre les violences
faites aux femmes.
En parallèle de ce budget
spécifique aux droits des femmes, plusieurs mesures liées à mes compétences ont
pour but de soutenir ces droits et les politiques d’égalité. Citons le passage
au statut de salariée des accueillantes d’enfants conventionnées, qui nécessite
un budget de 24 millions d’euros. Il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres.
Enfin, diverses associations
introduisent également des demandes de subvention dans différents cadres:
appels à candidatures, appels à projets ou subventions facultatives. Lorsque
mon cabinet reçoit une nouvelle demande de subvention hors des circuits traditionnels,
il la réoriente vers l’administration. Pour atteindre un objectif de bonne
gouvernance, il me paraît en effet indispensable que les demandes de
subventions ne soient pas laissées exclusivement aux mains du monde politique,
mais soient analysées de manière objective par l’administration, car celle-ci a
un devoir de neutralité
Réplique de
Sabine Roberty.
Madame la Ministre, vos réponses
sont éclairantes à la veille de cette journée importante pour la lutte contre
les violences faites aux femmes. De toutes les formes de violences faites aux
femmes et aux filles, le féminicide est la plus cruelle, la plus basse et la
plus grave qui soit. Le fait que nous en parlions régulièrement en commission
ne fait que démontrer l’intérêt de chacun et chacune d’entre nous pour cette
problématique.
Je prends bonne note du fait
qu’une évaluation intermédiaire est en cours et que 75 % des mesures de l’axe
n° 1 du Plan intra-francophone de lutte contre les violences faites aux femmes
sont quasiment réalisées. Nous pouvons nous en réjouir, mais tant que des
féminicides seront à déplorer, l’objectif ne sera pas atteint.
Par conséquent, un travail
constant et de fond doit être mené à tous les niveaux de pouvoir en Belgique,
comme dans le reste du monde d’ailleurs. Le féminicide est en effet l’une des formes
de violation des droits humains les plus basses et elle nous concerne tous.
J’entends que vous comptez développer plusieurs autres projets pour renforcer
le cadre existant dans ce domaine. Nous nous en réjouissons. Nos trois
questions résument bien notre position et tout l’intérêt que nous portons à
cette lutte. Nous suivrons avec attention l’évolution de ce combat.
Crédit photo : Photo de
Andrea Piacquadio:
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