Question
orale du 28 septembre 2021 de Sabine ROBERTY à Bénédicte LINARD,
vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la
Culture, des Médias et des Droits des femmes
Madame
la Ministre, la semaine dernière, nous apprenions qu’une vente de LN24 était
envisagée. Si le directeur général de la chaîne, Joan Condijts, a démenti cette
information, il a tout de même confirmé qu’un processus de recapitalisation
pouvait être engagé par Belfius et Besix, les deux actionnaires principaux de
LN24. La chaîne d’information en continu affichant d’importantes pertes, elle
serait à la recherche de nouveaux investisseurs. Certains actionnaires
historiques pourraient en effet se désengager. Nous savons que la chaîne a
réussi à se faire une place dans le paysage audiovisuel belge francophone, mais
qu’elle rencontre aussi depuis ses débuts des difficultés financières, encore
accentuées par la crise sanitaire. La chaîne a été lancée à un moment difficile
pour d’innombrables secteurs. À côté du dossier de rachat de RTL Belgium, cette
annonce n’est pas réjouissante et risque, elle aussi, de perturber le paysage
audiovisuel belge. Il en va du pluralisme de l’information, notion qui nous est
chère, et de la concentration des médias. Quelle lecture faites-vous de cette
information ? Quelle analyse faites-vous de l’impact de cette vente et de
l’entrée potentielle d’IPM dans l’actionnariat de LN24 ? Disposez-vous d’autres
informations sur ce dossier ? Qu’est-ce qu’une vente impliquerait en termes de
pluralisme et d’ancrage territorial de l’information, mais aussi d’emploi ? En
outre, où en sommes-nous aujourd’hui concernant le dossier de rachat de RTL
Belgium ? La question de la fusion de TF1 et M6 risquait aussi d’avoir des
conséquences sur notre paysage audiovisuel. Disposez-vous de nouvelles
informations sur le dossier, notamment en ce qui concerne la collaboration
entre TF1 et la RTBF ?
Réponse
de Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance,
de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes.
LN24
est la seule chaîne d’information en continu de la Communauté française. Lancée
en septembre 2019, elle s’est forgé en très peu de temps une place solide dans
le paysage audiovisuel belge francophone. La crise de la Covid-19 a sans doute
contribué à une hausse spectaculaire de ses audiences, mais la qualité des
programmes qu’elle diffuse y est pour beaucoup aussi. Entre 2020 et 2021, LN24
continue de progresser, avec notamment une augmentation de 118 % de parts de
marché sur sa cible de référence, les personnes de 25 ans à 54 ans. Son chiffre
d’affaires pourrait également doubler cette année. Joan Condijts, directeur
général de LN24, y voit le signe que la reprise et la confiance sont là. Malgré
ces signaux encourageants, les difficultés rencontrées par LN24 tiennent
principalement à son positionnement de niche en tant que chaîne d’information
en continu. Ce positionnement de niche limite inéluctablement sa capacité à
atteindre un large public, sa part de marché et donc ses recettes publicitaires.
Le constat est similaire pour les chaînes de même profil. À titre d’exemple, en
France, les parts de marché des chaînes d’information en continu oscillent, en
2021, entre 0,7 % pour France Info, 1,1 % pour LCI, 1,8 % pour CNews et 2,9 %
pour BFM TV. En raison de ce positionnement spécifique de LN24, un retour à
l’équilibre financier nécessitera un temps assez long. BFM TV a atteint
l’équilibre financier six ans après son lancement, au prix d’ailleurs de
multiples opérations de recapitalisation et d’une mutualisation de moyens au
sein du groupe NextRadioTV, soit le groupe Altice Media, anciennement SFR, qui
est propriétaire de la chaîne. Le choix du modèle économique de LN24 est une
décision hautement stratégique qui appartient aux dirigeants et actionnaires de
cette société. Ces derniers semblent souhaiter une évolution de ce modèle,
puisqu’ils annoncent l’ouverture du capital à un nouvel actionnaire. Au-delà de
l’objectif de parvenir à une nouvelle recapitalisation de l’entreprise, les
principaux actionnaires semblent donc vouloir explorer la possibilité pour LN24
de s’adosser à un groupe de médias, ce qui lui permettra de mutualiser des
moyens afin d’assurer la pérennité de son activité. Cette initiative apparaît
pleinement en phase avec l’ensemble des autres opérations de consolidation en
cours sur notre marché. Madame Roberty, je vous confirme avoir des contacts
avec cet opérateur et que mon cabinet reste disponible pour poursuivre le
dialogue. Néanmoins, pour l’instant, nous ne disposons pas d’informations plus
précises sur les profils des éventuels groupes intéressés. Comme vous le savez,
ces opérations sont préparées dans la plus grande confidentialité. Je reste
très attentive à l’évolution de ce dossier au regard des enjeux que vous
rappelez et en particulier de l’impact sur le pluralisme et sur l’emploi des
journalistes, pigistes et techniciens. Dans le cadre de la réflexion sur son
avenir financier, LN24 a notamment évoqué la possibilité de bénéficier des mécanismes
d’aides à la presse. Ceux-ci sont prévus par le décret « aides à la presse » et
ces aides sont spécifiquement destinées aux titres de presse quotidienne et
pas, dans le cadre légal actuel, aux médias audiovisuels. La réflexion sur le
soutien aux médias, et notamment aux médias émergents, est bien en cours.
Plusieurs initiatives ont déjà abouti, notamment la pérennisation et le
renforcement du soutien au journalisme d’investigation et à la presse
périodique non commerciale. Ensuite, mon cabinet est en train d’envisager
l’élargissement et la réforme des modalités des aides à la presse et d’explorer
les solutions légales qui pourraient être actionnées pour des projets comme
LN24, toujours dans la perspective d’un soutien au plus grand pluralisme
possible en Belgique francophone. Concernant le dossier de la vente de RTL
Belgium, l’Autorité belge de la concurrence a été saisie de ce dossier. Elle
procède actuellement aux auditions de l’ensemble des parties concernées sur le
marché pertinent. En ce qui concerne l’opération de fusion de TF1 et M6,
l’Autorité de la concurrence française ne se prononcera pas avant l’été 2022,
selon les déclarations de sa présidente. Monsieur Dispa, plusieurs mesures
figurant dans l’étude Deloitte ont été d’ores et déjà été mises en œuvre par le
gouvernement pour soutenir nos médias. Je pense notamment à l’investissement
public réalisé dans les budgets de communication de nos médias à des fins de
diffusion de message d’intérêt général. D’autres mesures sont en cours de mise
en œuvre. Dans le cadre du Plan de reprise et de résilience européen, nous
visons un ensemble de mesures destinées à soutenir la recherche des contenus et
à encourager la coopération entre acteurs du secteur, au service d’une
dynamisation de l’écosystème et de l’économie numérique. Nous œuvrons également
à l’instauration d’un cadre de régulation harmonisé, notamment par le Digital
Service Act (DSA) ou le règlement portant sur le contrôle des investissements
directs étrangers.
Réplique
de Sabine ROBERTY
Madame
la Ministre, je vous remercie pour vos multiples réponses. Même si LN24 est une
chaîne de niche, je pense que le paysage médiatique de la Fédération
Wallonie-Bruxelles a la chance de pouvoir disposer d’une chaîne d’information
en continu. Mais au-delà de sa position dans notre paysage audiovisuel, nos
questions s’inquiètent ni plus ni moins de la défense du pluralisme, de la
protection de l’indépendance, de la diversité des médias, de l’entretien du
paysage audiovisuel démocratique riche et diversifié. Pour moi, protéger tout
cela est fondamental, même si LN24 n’est pas encore aidée et soutenue par la
Fédération Wallonie-Bruxelles. Les citoyens méritent de savoir qui leur fournit
leurs informations. Nous n’en avons pas discuté aujourd’hui, mais l’Union
européenne vient tout juste de financier, via un appel à projets, un outil
appelé Euromedia Ownership Monitor, destiné à fournir une base de données par
pays de la propriété des médias. Cet instrument va permettre de mieux connaître
le marché des médias en déterminant à qui ils appartiennent et, in fine, de
mettre en évidence d’éventuels problèmes de concentration de médias, menace qui
plane sur la liberté de la presse. Je resterai donc particulièrement attentive
à ce dossier ainsi qu’à ce qui se fait au niveau européen, mais aussi à la
fusion de TF1 et de M6 et au rachat de RTL Belgium.
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