Question du 23 juin 2020 de Sabine ROBERTY à Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes
Dernièrement, la Commission européenne a appelé les grandes plateformes numériques à mieux lutter contre l’énorme vague de désinformation suscitée par la pandémie. Ainsi, si l’Europe a salué les efforts des réseaux sociaux face aux fake news, elle considère également que ces derniers peuvent mieux faire. L’Union européenne a alors, par exemple, appelé les géants d’internet à publier un rapport mensuel sur les actions mises en œuvre pour lutter contre ce phénomène. Cette prise de position de la Commission a également fait réagir des organisations représentant des radiodiffuseurs, des éditeurs et des journalistes européens qui réclament des mesures plus fortes face aux plateformes internet comme Google et Facebook pour lutter contre la désinformation. Considérant que le Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne, signé en 2018 par les plateformes internet, ne suffit pas, les signataires de la déclaration demandent la mise en place d’instruments efficaces et mieux adaptés à la lutte contre les fake news sur ces réseaux. Un dialogue plus structuré avec ces plateformes internationales est également demandé par les professionnels de l’information. Cette déclaration, tout comme la Commission, rappelle aussi l’importance de préserver la liberté journalistique, la liberté d’expression et la liberté éditoriale, car il s’agit d’un enjeu majeur. En effet, la lutte contre la désinformation et les fake news ne doit jamais se transformer en une quelconque forme de censure. Relevons également l’étude récente du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (European Regulators Group for Audiovisual Media Services, ERGA), association européenne des régulateurs de l’audiovisuel, pilotée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) belge. Cette étude démontrait des pertes économiques de 25 % à 80 % selon les secteurs, pour les acteurs de l’audiovisuel européen, à cause de la crise. Ces pertes de revenus ne sont pas nouvelles, mais ont encore augmenté avec le contexte actuel. En outre, comme le souligne très justement le président du CSA, «cette crise cristallise les inégalités entre les acteurs audiovisuels. Elle […] illustre la disparité de situation régulatoire et économique entre les acteurs historiques et les plateformes.» En effet, aujourd’hui, ces dernières échappent encore à de nombreuses obligations et ne sont pas responsables des contenus haineux et des fausses informations qui prolifèrent sur leurs pages. Dans ce contexte, l’ERGA a adopté une série de propositions concrètes adressées à la Commission européenne pour adapter le régime de responsabilité afin de lutter contre la désinformation et les propos haineux. Nous avons déjà régulièrement parlé de cette problématique au sein de notre commission, de l’importance de soutenir les journalistes et les rédactions dans leur travail contre les fausses informations, de sensibiliser et bien sûr – vous savez comme cela me tient à cœur, Madame la Ministre – d’éduquer l’ensemble des citoyens aux médias. Aujourd’hui, il me semble en effet qu’il est temps que l’Europe avance vers un cadre en adéquation avec la réalité du secteur. Le groupe socialiste se réjouit que des initiatives se dessinent, mais il faut avancer vers une forme de responsabilisation de ces plateformes. Les médias et les professionnels de l’information ont besoin d’un soutien concret.
Madame la Ministre, pouvez-vous revenir sur la prise de position de l’Union européenne et sur la déclaration qui a suivi de la part des professionnels de l’information?
Avez-vous également pu prendre connaissance de l’étude de l’ERGA et des propositions faites par l’association des régulateurs?
Quelles mesures attendez-vous au niveau de l’Europe pour aider à lutter contre cette désinformation croissante et la propagation des propos haineux?
Avez-vous eu un échange avec les acteurs des médias francophones à ce sujet?
Quelle est leur position quant aux obligations de vigilance qui devraient être demandées aux plateformes internet?
Réponse de Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes
Il est essentiel que le phénomène des fake news sur les plateformes en ligne soit appréhendé à l’échelle de l’Union européenne. Il faut saluer les initiatives prises par la Commission européenne sur le sujet. À la suite de sa communication du 26 avril 2018 intitulée «Lutter contre la désinformation en ligne: une approche européenne», Facebook, Google, Mozilla, Twitter et Microsoft ont signé, le 26 septembre 2018, aux côtés d’associations professionnelles du secteur, le code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne. Le 16 octobre 2018, le code a été complété, avec l’aide de la Commission européenne, par les feuilles de route des plateformes en ligne et du secteur de la publicité. Ces différents travaux ne constituent qu’une première étape dans un processus de dialogue avec les opérateurs. Le rapport l’ERGA vient utilement rappeler la nécessité de renforcer la transparence sur la mise en œuvre du code, d’en préciser les termes ainsi que sa structure et d’élargir le nombre de signataires à d’autres opérateurs, tels que TikTok, WhatsApp ou Messenger. Je souscris pleinement à la position de l’Union européenne dans sa communication conjointe avec la Commission européenne, intitulée «Lutter contre la désinformation concernant le COVID-19 – Démêler le vrai du faux» et adressée au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil de l’Union européenne, au Comité économique et social européen (CESE) et au Comité des régions. Les travaux à venir aborderont des enjeux cruciaux, tels que la distinction entre les notions de contenus illicites et de contenus préjudiciables ainsi que la définition de critères objectifs caractérisant l’intentionnalité de la mise en ligne des contenus illicites, afin de distinguer la mésinformation de la désinformation. Toutes les mesures correctives devront respecter les droits et libertés fondamentaux, en particulier la liberté d’expression. Ce sera un des enjeux de la future législation sur les services numériques. J’y resterai attentive.
Réplique de Sabine ROBERTY
J’ai la désagréable impression que dénoncer et s’indigner ne suffit plus. Je comprends bien que les difficultés sont multiples, mais les responsabilités entre les médias et les géants d’internet restent à ce jour inégales. Toutefois, la récente décision de Twitter de signaler plusieurs tweets de Donald Trump marque peut-être un tournant dans la modération des contenus sur les réseaux sociaux. Twitter a récemment apposé sur plusieurs tweets du président américain un avertissement et un lien vers des informations vérifiées, allant même jusqu’à masquer un de ses tweets faisant l’apologie de la violence. De son côté, Facebook n’a entrepris aucune action, se retranchant derrière la liberté d’expression, ce qui lui vaut aujourd’hui de vives critiques. Nous n’avons pas encore fini d’évoquer cette problématique ni les géants d’internet au sein de notre commission. Je vous interpellerai à nouveau à ce sujet, Madame la Ministre.
Crédit Photo: Photo de Joshua Miranda provenant de Pexels