Le maintien au domicile: quand la technologie s’en mêle

 

Question du 4 octobre 2022 de Sabine Roberty et Joëlle Kapompole à Christie Morreale, Ministre de l’Emploi, de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des chances.

Sabine Roberty :

Madame la Ministre, le Gouvernement, sous votre impulsion, lance un projet d’assistance digitale pour maintenir les personnes âgées ou en perte d’autonomie au sein de leur domicile. Il s’agit ici de la concrétisation d’une action reprise dans le Plan de relance avec un budget de 34 millions.

Ce projet vise à équiper progressivement et gratuitement 15 000 logements d’un dispositif d’assistance numérique. Il s’agit d’un nouveau projet important dans la politique plus large du soutien à domicile des personnes en perte d’autonomie.

Contrairement au système de télévigilance actuellement disponible, ces nouveaux systèmes analysent les activités journalières des personnes à l’aide de capteurs et permettent de déclencher une alarme en cas d’anomalie dans les habitudes quotidiennes. Effectivement, parfois, le fait même de devoir appuyer sur un bouton peut poser problème et ces nouvelles solutions permettent ou permettraient une intervention plus rapide.

Un appel à projets auprès d’opérateurs va être lancé. Si le dispositif existe déjà, l’objectif est également d’expérimenter, de l’améliorer et de le diversifier.

Madame la Ministre, quel agenda avez-vous fixé pour le développement de cette action ? Qu’avez-vous défini comme critères pour les opérateurs qui pourront répondre à cet appel à projets ? Avez-vous travaillé avec votre collègue en charge de l’Économie pour aller vers nos entreprises wallonnes ? Comment définirez-vous les logements qui pourront être équipés de ce type de dispositif ? S’agira-t-il uniquement de logements privés ou avez-vous également décidé d’implémenter ce système dans des résidences services, par exemple ? Avez-vous des contacts avec votre collègue en charge du Logement pour éventuellement travailler sur les sociétés de logement public ? Enfin, la formation du personnel de soins, les encadrants et les bénéficiaires, sera nécessaire. Comment allez-vous organiser celle-ci ? Je vous remercie pour vos réponses

Joëlle Kapompole :

Madame la Ministre, en complément à ce que vient d’exprimer ma collègue, Mme Roberty, je voudrais insister sur la dimension éthique que ce type de dispositif visant à organiser la télésurveillance des personnes âgées peut induire puisque l’installation de ces nouveaux systèmes visant à capter les mouvements des personnes, à savoir si la personne ouvre le frigo, si l’on sait à partir de quel moment la personne est sortie de son lit, et cetera, peut interpeller à mon sens concernant le respect de la vie privée. Cela a déjà été évoqué dans cette commission, il est important de mettre en place des choses qui peuvent aider les personnes âgées, mais avec elles-mêmes impliquées dans le cadre de ce processus, pour s’assurer que l’on ait une dimension éthique la plus large possible. Je voulais en savoir plus sur ce cadre éthique adopté par le Gouvernement le 22 septembre, justement pour limiter la surveillance ou en tout cas en limiter les dérives et connaître les balises qui ont pu être fixées par le Gouvernement wallon dans le cahier des charges relatif à l’appel à projets visant à mettre en place cet outil le plus généralement possible, en tout cas au sein de 15 000 maisons en Wallonie. Merci pour vos réponses.

Réponse de Christie Morreale, Ministre de l’Emploi, de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des chances.

Mesdames les Députées, merci pour vos questions. La Région wallonne, vous le savez, comme d’autres régions, on est touché par la question du vieillissement de la population. On aura un pic d’ici 2050 avec une augmentation importante entre 2030 et 2050.

On a aussi un certain nombre d’études dont le rapport récent d’ailleurs de la Fondation Roi Baudouin qui montrent que la majorité, la très grande majorité des séniors et des personnes qui sont non valides souhaitent rester le plus longtemps possible chez elles. Les techniques digitales, dites l’e-santé, cela pourrait être une très belle opportunité pour soutenir de manière plus importante et assumer un maintien à domicile dans un cadre – et j’entends vos remarques qui sont évidemment extrêmement importantes – et c’est pour cela que le Gouvernement a décidé de lancer un vaste projet expérimental dans le cadre du Plan de relance pour tester les dernières inventions et avancées technologiques qui permettent aux personnes à vivre à domicile le plus longtemps possible de manière plus sécurisée et de manière plus proactive aussi.

Dans cet objectif, dans le cadre du Plan de relance, un budget de 15 millions d’euros a été inscrit ainsi qu’un budget de 19,7 millions d’euros dans le cadre du PRW pour l’expérimentation, l’installation et le déploiement de 15 000 dispositifs d’assistance digitale ainsi que pour la formation et l’ac-ccompagnement du personnel d’aide et de soins entourant les bénéficiaires et ces derniers. Pour les bénéficiaires, dans le cadre de ce projet pilote, le coût sera nul puisque ce sont les opérateurs qui veilleront à la pérennisation du dispositif s’il est évalué positivement.

La mise en œuvre du projet va s’échelonner sur plusieurs années, depuis la fin de cette année jusqu’à la fin du troisième trimestre 2025, pour permettre plusieurs phases d’analyse et de test des équipements sélectionnés, mais aussi l’établissement d’un modèle de prestation de services, la formation des prestataires de services et le déploiement progressif des dispositifs.

La première étape est d’identifier, de tester et de comparer les solutions technologiques disponibles sur le marché. Madame Kapompole, étant donné que vous avez siégé très longtemps en Commission de l’économie, vous êtes attentive à ce que l’on fasse travailler des entreprises wallonnes spécialisées dans le secteur de la digitalisation. Grâce à ces subsides, elles peuvent aller plus loin dans leurs recherches et dans le déploiement de technologies qui n’auraient pas été possibles sans cela. Elles étaient demandeuses d’avoir une partie de soutien public pour se lancer sur le marché, et l’on y travaille en collaboration avec mon collègue de l’Économie. Idéalement, ce seront des entreprises wallonnes. On ne peut pas circonscrire dans le cadre des règles européennes, mais on a suffisamment d’entreprises et de PME wallonnes spécialisées dans ces secteurs pour y répondre.

La deuxième étape est d’établir un modèle de prestations de services pour les conseils, l’accompagnement et le processus.

La troisième étape est de former les prestataires de services à ce type de technologies puis de déployer et de recommander en dernière étape.

Cet appel à projets sera ouvert aux ASBL ou aux groupements d’ASBL, aux intercommunales ainsi qu’aux consortiums d’opérateurs privés et publics complémentaires qui pourront justifier d’une expérience d’au moins 10 ans dans l’accompagnement de personnes en perte d’autonomie à domicile et justifier qu’ils s’inscrivent dans un écosystème global lié à l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie à domicile : ergothérapeutes, infirmiers à domicile et SAFA. Le projet cible les logements individuels, y compris les logements sociaux et les habitats inclusifs et solidaires. Les structures de logements collectifs ne sont cependant pas visées.

Les réflexions relatives aux dispositifs d’assistance digitale ont été menées dans le cadre du projet plus global de création de logements d’utilité publique et de logements à destination de personnes vulnérables qui a été déposé dans le Plan national de reprise et de résilience avec mon collègue, Christophe Collignon.

Un système d’assistance digitale se caractérise par le placement au domicile des personnes de capteurs environnementaux connectés à une box, une intelligence artificielle, qui va analyser le rythme de vie de la personne à travers un logiciel d’apprentissage spécifique à chaque maison, habitation ou cellule. Un projet est en phase de test dans une maison de repos à Crisnée. Ce n’est pas un système de surveillance et ce ne sont pas des caméras. C’est anonyme et cela récolte des analyses en termes de mouvements par rapport aux habitudes classiques d’une personne. Le dispositif est placé pendant un certain temps pour analyser les mouvements que peut faire la personne en général. Si l’on se rend compte qu’elle reste plus longtemps dans chambre sans descendre alors qu’elle se réveille habituellement entre 7 et 8 heures du matin, il y a un système d’enclenchement d’alerte et il faut intervenir avant qu’elle ne fasse un malaise parce que cela veut dire qu’elle ne se sent pas bien et qu’il faut prendre contact avec elle ou envoyer quelqu’un sur place pour s’assurer que tout se passe bien. En cas de situation anormale, l’alerte s’enclenche via la base centrale de transmission pour prévenir la centrale, appeler un proche ou le système d’aide familiale puisse être présent, ou simplement téléphoner à la personne pour s’assurer que tout va bien. Les données seront centralisées par l’installateur du dispositif chargé de garantir la protection des données, et pourront être communiquées aux proches et faire l’objet d’un suivi avec le soutien du personnel d’accompagnement et de soin.

Pour limiter l’impact sur la vie privée de la personne, l’assistance digitale ne fonctionne pas avec des caméras vidéo, mais avec des capteurs. Les systèmes avec des caméras infrarouges pourront être utilisés, pourvu qu’ils respectent et garantissent le respect de la vie privée. Le dispositif ne pourra être installé qu’avec l’accord de la personne concernée et après que celle-ci a été informée du type de données récoltées et de l’utilisation qui en sera faite.

Les porteurs du projet seront par ailleurs soumis au règlement européen relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et à la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel.

Je suis aussi sensible aux arguments que vous évoquez de manière plus macro. Je vais donc demander que l’on ait aussi des contacts avec des spécialistes en matière d’éthique, sur le vieillissement et sur l’e-santé en général pour pouvoir appréhender ce projet pilote avec l’ensemble des considérations, en ce compris celle-là.

Réplique de Sabine Roberty

Madame la Ministre, vous avez vu que nous sommes intervenues à deux au niveau du groupe socialiste pour bien scinder les deux pans de cette digitalisation à venir. Pour revenir sur ce que ma collègue a dit et sur vos derniers propos, je pense qu’il faut effectivement avoir un œil particulièrement attentif sur les dérives qui peuvent arriver au domicile. Ayant travaillé au sein des services à domicile, je sais que des solutions existent déjà, telles que des capteurs placés sur les badges de télébiovigilance. Cette solution fonctionne. Je ne veux pas revenir en arrière sur ce que vous proposez, mais à vous et à nous de vérifier que l’on respecte bien, au niveau éthique, tout ce qui est mis pour protéger nos bénéficiaires. C’est vraiment important, de même que de toujours garder le bénéficiaire au centre de nos préoccupations. Tel est le leitmotiv de tous les services de maintien à domicile. Le bénéficiaire est au centre de ses libres choix. J’entends aussi que le projet va s’échelonner sur plusieurs années. Ce sera l’occasion pour nous, députés, de suivre ce dossier à la culotte, étape par étape. Vous pouvez compter sur moi. J’attends avec impatience la réplique de ma collègue. Merci, Madame la Ministre, pour votre éclairage

 

 

Photo de Pixabay: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-debout-a-cote-de-la-femme-sur-la-balancoire-34761/