Manque de places en crèche : il y a urgence !

En me joignant à l’interpellation de M. Antoine, j’ai plaidé pour un engagement ferme en faveur de la création de nouvelles places dans les crèches, pour un suivi rigoureux des promesses faites, pour une révision salariale des puéricultrices et une revalorisation de leur métier.

Intervention du 16 janvier 2024 de Sabine Roberty suite à l’interpellation d’A. Antoine intitulée « La réattribution des places abandonnées dans le Plan Cigogne » à Bénédicte Linard, Ministre de l’Enfance

En l’absence de Mme Pécriaux, je prends la parole pour transmettre les inquiétudes du secteur de la petite enfance et les préoccupations du groupe PS par rapport à la situation actuelle de ce secteur qui fait l’objet d’interventions à chacune de nos commissions. Malgré les efforts constants du gouvernement pour apporter de nouvelles réponses à cette situation complexe, celle-ci ne s’améliore pas. La saturation des structures d’accueil est continuellement accrue par la fermeture de plus petites structures, qui sont souvent des accueillantes à domicile qui sont en fin de carrière ou qui décident de changer d’orientation professionnelle. Cela a une incidence directe sur la possibilité pour chaque enfant de rejoindre un milieu d’accueil et accroît par ailleurs le stress des familles et les difficultés pour les parents de combiner vie professionnelle et vie privée. L’impact est d’autant plus important pour les familles monoparentales qui peuvent être plongées dans une grande précarité pour ces différentes raisons.

Les statistiques dévoilées dans une récente enquête de la RTBF témoignent d’une importante disparité entre les promesses et les réalisations effectives dans la création des places d’accueil. La nécessité d’agir rapidement et efficacement ne peut être sous-estimée, alors que les crises successives ont contraint les milieux d’accueil à mettre fin à leurs activités. Les efforts annoncés, tels que la création prévue de 2 500 places d’ici 2026, sont encourageants, mais il faut suivre de près leur mise en œuvre et leurs résultats concrets.

Madame la Ministre, combien des 2 500 places prévues ont-elles été ouvertes à ce jour? Quelle est leur répartition par province? Le calendrier des prochaines ouvertures sera-t-il maintenu? Le nombre de promoteurs retenus pour l’ouverture de places d’ici 2026 est-il toujours le même? Dans le cas contraire, combien de candidats se sont-ils retirés? Combien de places sont-elles touchées et dans quelles régions? Ces places seront-elles réattribuées à d’autres crèches dont les infrastructures sont prêtes à accueillir de nouveaux enfants sans plus tarder? Quel est le bilan des ouvertures et des fermetures de places en crèche en 2023? Qu’en est-il depuis le début de la législature?

La création de nouvelles places en crèche n’est qu’une partie de la solution. Nous devons également aborder la question cruciale de la révision salariale des puéricultrices et de la revalorisation de leur métier. Ces professionnelles dévouées jouent un rôle vital dans le développement des enfants et il est de notre devoir de reconnaître pleinement leur contribution par des révisions de leur rémunération et de leur statut social.

Le gouvernement a mis en œuvre plusieurs mesures parmi lesquelles l’uniformisation du barème du secteur public et de ceux appliqués dans les crèches privées subventionnées. Je salue le fait que, dès le 1er janvier 2024, le salaire des puéricultrices du secteur associatif a augmenté, ce qui représente une revalorisation de 985 euros bruts par an pour plus de 3 000 puéricultrices. Le travail n’est pas terminé, car de grandes disparités existent encore entre les puéricultrices qui travaillent dans différents secteurs et ces inégalités ont des conséquences négatives sur le secteur de la petite enfance. Il est aussi nécessaire de reconnaître la pénibilité du travail et d’aménager les fins de carrière. Où en sont les travaux de votre cabinet à ce sujet?

En conclusion, je plaide pour un engagement ferme en faveur de la création de nouvelles places dans les crèches, pour un suivi rigoureux des promesses faites, pour une révision salariale des puéricultrices et une revalorisation de leur métier. Ces mesures sont aussi essentielles pour satisfaire les besoins des enfants et des parents et assurer un environnement favorable au développement des enfants, tout en renforçant l’attractivité de la profession.

Je me joins à l’interpellation de M. Antoine pour témoigner de l’importance que nous conférons tous au travail parlementaire, entamé en juillet dernier, avec l’audition de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) et la prise en considération des contributions écrites du secteur. J’en veux pour preuve nos excellents échanges de ce matin durant l’ordre des travaux.

Réponse de la ministre :

Monsieur le Député, Madame la Députée, en tant que ministre de l’Enfance, mon objectif est triple: augmenter le nombre de places d’accueil, les rendre moins chères pour les familles et soutenir le secteur pour y améliorer les conditions de travail. En Wallonie et à Bruxelles, il a toujours été difficile de trouver une place dans une crèche. Toutefois, certaines zones sont plus touchées que d’autres: les communes les plus défavorisées, notamment, sont également celles où les besoins sont les
moins satisfaits. D’autres zones, comme le Brabant wallon, ont plus particulièrement subi l’effet de la fermeture de certains lieux d’accueil.

Dans le cadre de l’analyse de l’évolution des places d’accueil, il est utile de distinguer trois facteurs: la création de places subventionnées par les différents plans «Cigogne»; l’érosion de l’offre, principalement dans l’accueil à domicile; l’évolution de l’offre de places d’accueil non subventionnées. En 2000, la Wallonie et Bruxelles totalisaient 27 377 places d’accueil, dont environ 20 000 places subventionnées par l’ONE. Ensuite, les trois plans «Cigogne», lancés par le ministre Nollet et menés entre 2003 et 2014, ont permis une hausse spectaculaire de notre capacité d’accueil. Ainsi, en 2010, l’offre s’élevait à 38 185 places, dont 27 468 places subventionnées. En 2020, ces nombres ont encore augmenté pour atteindre 46 863 places, dont 34 141 places subventionnées. Les importants budgets mobilisés par la Communauté française ont donc permis d’augmenter la capacité d’accueil d’environ 70 % sur vingt ans.

Le Plan «Cigogne III» a permis de créer 7 136 places entre 2013 et 2021. Celui-ci comportait trois phases, dont la troisième visait la création de 6 400 places. Cette dernière phase aurait dû être lancée au cours de la précédente législature, mais le gouvernement de l’époque n’a pas pris ses responsabilités. C’est d’ailleurs ce qui est dit dans le reportage que vous avez cité, Monsieur Antoine: celui-ci avance notamment l’idée qu’il y a eu un manque de continuité dans la politique d’accueil de la petite enfance. En effet, Mme Greoli n’a lancé aucun appel pour la création de places durant son mandat ministériel. Nous en ressentons encore les effets actuellement, malgré mon action pour créer 5 200 nouvelles places en Wallonie et à Bruxelles. Il est évident que le prochain gouvernement devra, comme le gouvernement actuel et contrairement au gouvernement précédent, faire de cet objectif une priorité et poursuivre la création de nouvelles places.

Monsieur le Député, Madame la Députée, après ces clarifications, j’en viens à vos questions. Tout d’abord, le bilan relatif aux places d’accueil au 31 décembre 2023 n’est pas encore disponible. Je ne manquerai pas de vous le présenter dès qu’il sera finalisé. Le dernier bilan, réalisé le 30 juin 2023, a déjà été mentionné lors de nos travaux en décembre 2023. Il affiche un solde positif, en rupture avec les chiffres négatifs de ces deux dernières années, causés par l’absence de programmation de nouvelles places d’accueil subventionnées durant la précédente législature. Les chiffres repartent à la hausse sous l’effet des premières places créées grâce aux appels conjoints que j’ai lancés avec les Régions. L’ONE constate également l’arrêt de la baisse du nombre de places non subventionnées dans le secteur, en accueil tant collectif qu’individuel.

C’est le résultat des mesures d’urgence et de subventionnement pérennes que j’ai instaurées, comme le passage au statut de salariées pour toutes les accueillantes conventionnées, l’ouverture au subside de base pour tous les milieux d’accueil, l’élargissement des conditions d’accès au subside pour les accueillantes indépendantes, les solutions pour les co-accueils, la possibilité de reprise temporaire d’un milieu d’accueil par l’ONE, ainsi que les mesures d’urgence pour éviter les fermetures et recréer les capacités perdues en cas de pertes de places.

La province du Brabant wallon connaît une situation particulière. Sous l’effet des précédents plans «Cigogne», elle affiche un taux de couverture subventionné de 38,4 % et de 51,1 % au global. Ces chiffres cachent d’énormes disparités. Les taux de couverture de places subventionnées par communes varient de 5,2 % à 79,2 % et les taux globaux de 18,8 % à 103,8 %. Guidée par l’intérêt supérieur de l’enfant, j’ai veillé à ne pas délaisser cette province: au moins 400 places y seront créées d’ici 2026. J’ai tenu à ce que les communes moins bien loties du Brabant wallon puissent saisir en priorité l’appel conjoint que j’ai lancé. Je suis ravie que les nouvelles places bénéficient aux enfants et aux familles de communes qui affichaient les taux les plus bas, comme Tubize.

L’accord de coopération conclu avec la Région wallonne prévoit la poursuite des efforts jusqu’à l’atteinte d’un taux de couverture subventionné d’une place pour trois enfants âgés de moins de deux ans et demi. Il est essentiel que les prochaines majorités restent mobilisées pour poursuivre cet objectif majeur et y affectent les budgets, ainsi que les moyens administratifs nécessaires, tant pour les enfants que pour les familles.

Dans l’intervalle, je continue de plaider auprès de mes collègues, non seulement pour qu’un maximum de projets voient le jour grâce un accompagnement adéquat – je salue à cet égard l’investissement des agents de l’ONE et du Service public de Wallonie Intérieur et Action sociale (SPW IAS) – et grâce à la réattribution en cas d’abandons. Je plaide aussi pour que des points APE (aide à la promotion de l’emploi) soient débloqués pour des projets ne demandant pas de subsides à l’infrastructure, afin d’aller encore plus loin dans la création de places en 2024.

J’ai voulu aller plus loin, mais, cette fois-ci, le ministre du Budget n’a pas voulu me suivre. La Fédération Wallonie-Bruxelles était prête à créer 1 000 places supplémentaires par rapport à ce qui est prévu dans le Plan «Équilibre», mais la Région n’a pas suivi. Il est pourtant possible de progresser et j’ai réuni mes homologues pour ce faire. La réattribution des places d’accueil résultant d’abandons de projet en 2023 suit son cours. Le comité de suivi, constitué en vertu de l’accord de coopération avec la Wallonie, s’est réuni le 15 décembre et le 10 janvier derniers. Les administrations compétentes, à savoir l’ONE et le SPW IAS, sont encore en attente de la décision de trois porteurs de projets sur le maintien ou l’abandon de leur projet. Ainsi, le nombre de places à réattribuer pourrait être de 69, 103, 139 ou, dans le pire des scénarios, de 173. Quelques jours de délai supplémentaires ont été accordés à ces porteurs de projets. La liste des bénéficiaires de ces réattributions, tous issus du deuxième volet, ne pourra être arrêtée que lorsque le nombre exact de places sera définitivement connu. Le conseil d’administration de l’ONE se réunira le 24 janvier prochain pour statuer sur ces réattributions, avant que le gouvernement wallon se prononce à son tour.
Pour ce qui concerne Bruxelles, la situation est différente puisque la demande était inférieure à l’offre. Tous les projets connaissent une forte adhésion.

Source : Compte-rendu intégral de la réunion de la commission de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes – Séance du mardi 16 janvier 2024.