Le 20 octobre dernier, la RTBF lançait sa plateforme Faky, une application pour lutter contre les fake news dont l’objectif est d’évaluer la fiabilité d’articles publiés sur internet. À la suite de retours négatifs liés à certains dysfonctionnements, la RTBF a décidé de suspendre l’accès à la version publique.
Question de Sabine ROBERTY à Bénédicte LINARD, Ministre de l’enfance, de la santé, de la culture, des médias et des droits des femmes
Madame la Ministre, le 20 octobre dernier, la RTBF lançait sa plateforme Faky, une application pour lutter contre les fake news dont l’objectif est d’évaluer la fiabilité d’articles publiés sur internet. Cette plateforme a été conçue pour les journalistes et le grand public afin de faciliter les démarches de fact checking (vérification des données) et d’obtenir plus rapidement des informations sur la fiabilité d’un contenu. Les concepteurs précisaient également qu’il s’agissait d’un outil d’éducation aux médias, visant à encourager l’esprit critique et à accompagner les utilisateurs face aux différentes sources d’information.
À la suite de retours négatifs liés à certains dysfonctionnements, par exemple des articles de médias considérés comme peu ou relativement peu fiables, la RTBF a décidé de suspendre l’accès à la version publique. Les concepteurs ont directement fait leur autocritique et précisé qu’il s’agissait d’une version d’essai. L’idée était d’avoir des retours des utilisateurs pour améliorer l’outil, tout en le laissant public. Finalement, la décision a été prise de suspendre l’accès et de proposer ultérieurement une nouvelle version.
Madame la Ministre, dans le contexte de multiplication de l’information que nous connaissons et d’une désinformation toujours plus importante, quelle est votre analyse d’une telle initiative ? Pensez-vous que cela pourrait être un outil efficace pour les consommateurs des médias ?
Comment soutenez-vous le renforcement des partenariats entre les médias et le monde scolaire pour améliorer continuellement les outils mis à la disposition des citoyens ?
Réponse de Bénédicte LINARD, Ministre de l’enfance, de la santé, de la culture, des médias et des droits des femmes
Je vous remercie pour vos questions sur Faky qui se veut une plateforme de lutte contre la désinformation. Les fake news montrent la volonté de certains de faire de la désinformation. Je suis heureuse de constater que ce sujet passionne les différentes tendances politiques, parce que j’y porte moi-même une grande attention.
Pour votre information, j’étais présente à l’événement de lancement de la plateforme, sur l’invitation de la RTBF, le 18 octobre à Mont Saint-Guibert. Comme j’ai pu le souligner aux journalistes ce jour-là, une initiative de ce type est évidemment bienvenue, mais avec la prudence nécessaire, j’y reviendrai.
La Déclaration de politique communautaire (DPC) fait de la lutte contre les fake news une priorité. Elle indique précisément que « le Gouvernement soutiendra et développera l’éducation aux médias afin de développer l’esprit critique et de lutter contre les fake news. Le Gouvernement veillera notamment à […] renforcer les collaborations entre les acteurs de terrain pour des actions concertées en éducation aux médias (RTBF, télévisions locales, éditeurs de presse, centres de ressources en éducation aux médias, centres culturels, Point Culture, associations de jeunes, associations de parents, opérateurs d’éducation permanente, cinémathèques, bibliothèques publiques, etc.).» J’insiste sur l’ensemble de ces acteurs, car il s’agit d’une thématique transversale touchant aussi bien ce secteur que celui de l’éducation. Dans ce cadre, l’initiative de la RTBF s’inscrit dans l’objectif de lutte contre les fake news ainsi que dans sa mission de service public en matière d’éducation aux médias.
J’ai aussi vu, presque en direct, les difficultés rencontrées par cet outil dès son lancement et qui ont entraîné sa suspension. J’ai reçu, à ce sujet, des explications précises de la RTBF. Le projet Faky poursuit l’objectif d’encourager et de soutenir le regard critique du citoyen face à la masse d’informations qui circule. Cet outil visera à ce que l’utilisateur puisse analyser, en quelques clics, un article ou une image postés sur les réseaux sociaux. L’équipe Faky est une équipe multidisciplinaire composée de journalistes de la RTBF, d’une collaboratrice directe de la rédaction de l’info et de deux cadres du pôle Technologies de la RTBF. Pendant six mois, l’équipe de la RTBF, dont un journaliste employé à temps plein, a développé ce projet. L’outil a été élaboré grâce à des partenariats noués avec différents acteurs du web. L’impact sur l’analyse de l’information vise à obtenir des clés pour déterminer le caractère fiable d’un article lu sur internet.
Concernant les photos, des liens sont récupérés avec l’API Vision de Google et recroisés avec la base de données du Décodex du journal « Le Monde ». Pour la recherche sur la base d’URL, fonction qui a notamment posé problème au moment du lancement public le 18 octobre, Faky se base sur cinq outils différents avec des résultats renvoyés de façon indépendante. Ces outils informatiques analysent les URL sous différents angles. D’abord, sous l’angle journalistique, à l’aide de deux outils. Un premier vérifie la source de l’information et la compare avec les outils existants, comme le Decodex. Une telle démarche vise à juger tout article provenant d’un site qui diffuse régulièrement de fausses informations comme non fiables. C’est le cas du site Riposte Laïque qui diffuse souvent de fausses informations. Un second outil analyse l’information à travers le regard d’équipes de fact checking (vérification des faits), notamment grâce aux décodeurs du journal « Le Monde » ou d’autres initiatives similaires. D’un côté, l’analyse de sources, de l’autre, le fact checking.
Le deuxième angle d’analyse se pratique par algorithmes ciblant le contenu. Là, trois outils coexistent. Un premier repère des éléments de désinformation dans un contenu d’article, par exemple « Cliquez ici pour découvrir ce fruit inconnu, remède miracle contre le cancer.» Des éléments alertent sur le risque de désinformation. Un deuxième détecte des éléments de subjectivité (textgain). Enfin, un troisième et dernier outil analyse la dissémination de l’information (Neutral News). À partir des différents résultats envoyés par ces cinq outils qui ciblent des aspects différents de l’information, la plateforme livre un indice de fiabilité de l’information. Cet indice unique est le fruit de la démarche suivante: les résultats envoyés par les outils sont normalisés pour comparer des pommes avec des pommes, mitigés, car les sources journalistiques ont plus de poids dans le calcul que la subjectivité calculée par une machine, puis agrégés en un seul indice.
La RTBF m’indique que la plateforme a été testée par des journalistes et des membres de divers pôles de la RTBF avant sa mise en ligne. Elle a également été testée par des utilisateurs représentatifs de diverses catégories de la société: adolescents, jeunes parents, cadres, enseignants, personnes plus âgées. À la suite des remarques formulées au cours de cette phase de tests, des adaptations ont été apportées. La RTBF a alors décidé de lancer la version bêta de Faky le 18 octobre dernier. Après la mise en ligne, des erreurs ont été constatées. À ce propos, j’ouvre ici une toute petite parenthèse sur l’affaire Dupont de Ligonnès: avec n’importe quel outil, même optimal, de détection des fake news, cette fausse information n’aurait pas été détectée comme telle, car il s’agit d’une erreur de toutes les sources journalistiques fiables qui ont travaillé sur le sujet. Cette exception restera dans les annales. Je ferme la parenthèse.
La RTBF nous apporte les explications suivantes à propos des erreurs et des événements survenus le 18 octobre 2019. Quand un internaute colle un lien URL pour qu’il soit analysé, les différents outils sont interrogés pour envoyer un résultat. Si un ou deux outils, essentiellement les outils algorithmiques dans ce cas, répondent, et que les autres ne sont pas en mesure de livrer un résultat, le bilan agrégé fourni par le site internet manque de pertinence.
Des réactions ont suivi le test de fiabilité du magazine «Médor». Le résultat a fait scandale, car il jetait l’opprobre sur un média d’investigation de qualité. Ce jour-là, dans ma prise de parole, j’ai fermement défendu ce média et j’ai demandé que la plateforme puisse, entre autres, tenir compte de la notoriété et de la qualité des journalistes d’investigation belges.
Des réactions sont aussi survenues à propos d’autres articles, réellement problématiques, contenant des fake news. Pour ceux-ci, le problème était qu’à peine un ou deux outils avaient été en mesure d’analyser les liens URL encodés. Le fait que tous les outils sont agrégés dans un seul indicateur final entraîne un manque de lisibilité du résultat en vue de sa correcte interprétation par l’algorithme.
Par ailleurs, on peut noter que l’usage d’une terminologie autour d’une évaluation de la fiabilité a aussi été interprété par certains comme si la RTBF s’autorisait à juger une partie du travail des rédactions et des journalistes confrères. L’initiative de la RTBF, considérée comme de l’ingérence, a suscité la polémique. Ce n’était certainement pas l’intention initiale de Faky. Son but est de déceler la désinformation volontaire et de traquer les fake news.
La RTBF affirme qu’en aucun cas cette plateforme n’a eu, et n’aura, pour vocation de juger le travail journalistique.
Concernant la question des moyens, selon la RTBF, le budget global pour le développement de la plateforme a été conséquent. En termes de moyens humains, l’équipe de Faky a travaillé à définir les priorités, les développements et les orientations majeures du projet. L’équipe a également pu compter, de façon ponctuelle, sur la collaboration de plusieurs services de la RTBF. Un journaliste est aussi spécifiquement investi dans le projet depuis fin mars 2019.
En ce qui concerne les moyens pour réparer l’outil et poursuivre le projet, la RTBF précise que l’enveloppe actuelle permet de mettre rapidement le site en ligne moyennant certaines adaptations. L’analyse du taux de fiabilité d’une URL ayant suscité beaucoup de réactions, cet aspect du traitement des informations de la plateforme sera retiré et laissera place aux résultats des différents outils, qui seront affichés de façon plus lisible pour l’internaute. L’avis synthétique de la plateforme, matérialisé par les cinq indicateurs, à savoir fiable, relativement fiable, neutre, peu fiable et pas fiable, disparaîtra. Ce travail est déjà en cours à la RTBF avec les différents partenaires impliqués dans le projet. La RTBF a également sollicité le concours d’autres rédactions pour qu’elles testent la nouvelle version avant sa mise en ligne.
Vous me demandez, Mesdames et Messieurs les Députés, si je suis favorable à cet outil. En tant que ministre des Médias et au vu de la DPC, je suis évidemment favorable à l’existence d’un outil de décodage dès lors qu’il aura été adapté et répondra aux exigences des internautes et des journalistes.
J’aurai cependant une réserve à émettre, ce type d’outil ne peut pas représenter un jugement qualitatif ou déontologique de l’information, ce n’est pas l’objectif. Je rappelle que le Conseil de déontologie journalistique a pour mission de rendre des avis sur le respect, par les journalistes, des règles professionnelles en matière de déontologie reprises dans le Code de déontologie. Pour avancer sur Faky, j’invite la RTBF à travailler en collaboration avec les autres rédactions et les acteurs de l’éducation aux médias.
Madame Roberty, concernant votre question sur les partenariats entre les médias et le monde scolaire, la RTBF en fait également une priorité. Les ponts entre les médias et le monde de l’enseignement doivent être encouragés. Je prends pour exemple E-classe, la nouvelle plateforme créée par la Fédération Wallonie-Bruxelles et destinée aux professeurs. Elle contient des ressources notamment audiovisuelles pour les aider dans leur travail. La RTBF et la Sonuma en sont partenaires. La RTBF fait bien plus que cela. Dans son projet de lien avec les écoles, notamment avec l’Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion (INSAS), elle invite des classes à venir créer de l’information. Cette initiative a pour objectif de décoder le fonctionnement de l’information, d’éduquer sur ce qu’est l’information pour permettre de juger ce qui pourrait être de la désinformation. La RTBF organise de nombreuses visites d’écoles et des studios ont même été créés pour l’organisation d’ateliers spécifiques.
En tant que ministre des Médias, je m’inscris parfaitement dans la ligne de la DPC, qui invite le gouvernement à renforcer le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM), à évaluer le décret relatif à l’éducation aux médias et à l’adapter si nécessaire. Durant toute la législature, je m’impliquerai avec ma collègue, Mme Désir, avec laquelle j’ai déjà pris contact, pour renforcer les collaborations entre les acteurs de presse et le monde scolaire.
Il est évident que la question de l’éducation aux médias doit trouver sa place dans le Pacte d’excellence, nous en avons déjà discuté avec Mme Désir. Comme ce n’est pas encore le cas, c’est un chantier à entamer.
Madame De Re, concernant votre question sur les mesures spécifiques en faveur du journalisme d’investigation, sachez qu’il existe un fonds pour le journalisme, qui est géré par l’Association des journalistes professionnels (AJP). Il est financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles à concurrence de 275 000 euros par an. L’AJP a mis en place le site www.fondspourlejournalisme.be très didactique qui permet de prendre connaissance des projets qui ont été financés ainsi que des conditions à remplir pour qu’un projet journalistique soit soutenu. Depuis 2009, 189 projets de reportage et d’analyse sur tous types de médias ont été financés. Cette subvention est accordée dans le cadre d’une convention entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’AJP qui s’achève en 2021. Comme vous l’aurez constaté dans la DPC, il est prévu que le gouvernement soutienne et renforce ce fonds. Je m’engage bien évidemment à le pérenniser.
Réplique de Madame Roberty :
La vérité est un processus vivant, comme disait Hegel. Je dirais même plus : humain et complexe. Les faits doivent être objectivables et la vérité objectivée. C’est également la recherche de la vérité par l’information qui caractérise une démocratie. Une vérité qui est davantage mise en péril, puisque les fake news ont la couleur de l’information, sans en être une. Tout est perfectible dans la vie. Nous n’allons pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il y a eu quelques ratés, mais j’ai également envie de croire que l’on peut y arriver.