FWB – Hypersexualisation et surexposition des enfants: comment les protéger?

Question du 20 janvier 2021 de Sabine ROBERTY à Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes

Il n’est pas rare, particulièrement sur les réseaux sociaux, de voir des petites filles maquillées, habillées comme des poupées et rendues instagrammables par leurs parents. Elles ont tous les jours un nouveau look provenant de l’une ou l’autre boutique à la mode, et presque tous les jours, une photo est publiée sur les réseaux sociaux sous une myriade de hashtags. L’image de certains enfants est en quelque sorte commercialisée et ils sont parfois les rouages d’un système commercial au sens strict du terme. Ils deviennent des influenceurs, bon gré mal gré. En outre, de nombreux filtres sont utilisés pour les photos et vidéos: visages amincis, yeux agrandis et pétillants, pommettes saillantes, maquillage ou barbe. Les exemples de filtres ne manquent pas, et les exemples de dérives qui y sont liées non plus! Toutes ces pratiques ne sont pas sans conséquence qui peuvent être gravissimes. Je pense à l’hypersexualisation des enfants et à l’affaiblissement des frontières générationnelles qui ouvrent la voie à des passages à l’acte pédophile, comme le soulignait d’ailleurs le philosophe Dany-Robert Dufour, dans le cadre de la campagne Yapaka. Je pense à la surexposition des enfants alors qu’il leur appartient de construire leur intimité et de définir les limites de leur pudeur. Je pense aussi aux troubles dysmorphiques et à l’effondrement narcissique que peut induire l’utilisation systématique des filtres disponibles sur les réseaux sociaux.

Madame la Ministre, j’ai conscience que cette problématique est vaste, compliquée, et qu’elle aborde des thématiques différentes. Et celles-ci sont, à mon sens, inextricablement liées. 

Travaillez-vous en collaboration avec le délégué général aux droits de l’enfant (DGDE) à la lutte contre cette hypersexualisation? A-t-il émis des recommandations sur cette question?

Que disent les professionnels de l’enfance? Vous ont-ils déjà interpellée à ce sujet? Sont-ils sensibilisés, formés à ces problématiques nouvelles? Quelles sont les informations provenant du terrain?

Lors de la précédente législature, il semble que la problématique de l’hypersexualisation ait été intégrée dans le Plan intra-francophone de lutte contre les violences faites aux femmes ainsi que dans le Plan «Droits des femmes». Qu’en estil aujourd’hui?

En France, une loi encadrant le travail des enfants influenceurs a été adoptée en 2020. Qu’en est-il en Belgique? Avez-vous déjà pris contact avec le ministre fédéral de l’Économie et du Travail à ce sujet?

En 2018, la campagne Yapaka destinée à sensibiliser le public sur l’hypersexualisation des enfants a été rendue publique. Un colloque a eu lieu au Parlement de la Fédération WallonieBruxelles. Il devait être le point de départ d’un travail visant à élaborer des recommandations, notamment pour le secteur des médias et de la publicité ainsi que pour les pouvoirs publics, pour les secteurs de l’éducation ou l’école, etc. La campagne a-t-elle été un succès? Des recommandations ont-elles pu être formulées? Ont-elles permis la mise en œuvre de mesures concrètes?

Enfin, une nouvelle campagne de sensibilisation est-elle prévue?

Réponse de Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes.

La problématique de l’hypersexualisation des enfants est bien réelle. Néanmoins, en ce qui me concerne, si je collabore avec le DGDE sur de nombreux sujets, nous n’avons pas spécifiquement de contacts sur celuici. Cette question n’a en effet pas fait l’objet d’une mention dans les rapports publiés du DGDE depuis le début de mon mandat. N’ayant pas reçu, à ce jour, d’interpellation spécifique sur cette problématique, nous travaillons pour le moment sur d’autres sujets. Dans le passé, Bernard De Vos a attiré l’attention sur cette tendance préoccupante à l’hypersexualisation et a également émis des recommandations qui ont été largement médiatisées. Elles restent tout à fait d’actualité. Tant dans l’élaboration du Plan «Droits des femmes» que dans celle du Plan «Droits de l’enfant», j’ai voulu éviter de dresser un catalogue interminable de mesures qu’il aurait été illusoire de mettre en œuvre en une législature. J’ai donc veillé à centrer ces plans d’action sur une série de priorités. La question de l’hypersexualisation des enfants n’y a pas été intégrée. Je prends donc bonne note de votre point d’attention sur l’adoption d’une loi encadrant le travail des enfants influenceurs, à l’instar de celle adoptée en France l’an dernier. Je veillerai à interroger le ministre fédéral du Travail sur ses intentions. Le programme Yapaka relevant des compétences de la ministre Glatigny, je vous invite à l’interroger à ce propos.

Réplique de Sabine ROBERTY 

Je me doutais de vos réponses, Madame la Ministre. Tout le monde connaît l’hypersexualisation des enfants. Finalement, à force de la voir, nous ne la voyons plus. C’est un triste constat. Nous devons tous et toutes travailler pour déconstruire dès le plus jeune âge ce type de schématisation mentale des enfants. Ils grandissent trop vite quand ils le subissent et sont souvent mal accompagnés par des parents qui sont pourtant parfois très fiers. Cependant, tout cela peut aller trop loin. Je me réjouis donc de savoir que vous allez étudier cette question avec le ministre fédéral du Travail. J’ai évoqué la législation française. Cette commission doit suivre cette thématique pour éviter les débordements, même si cela s’annonce compliqué. Les réseaux sociaux se développent à une vitesse extraordinaire. Les parents ne sont pas toujours maîtres de la situation non plus. Lorsque nous avons hier travaillé sur le projet de décret sur les services de médias audiovisuels, nous avons abordé l’idée selon laquelle les parents doivent aussi être éduqués aux médias. C’est un travail de longue haleine. Mesdames Ryckmans et Nikolic, cette thématique doit aussi vous intéresser. Nous aurons peut-être l’occasion d’en discuter en commission pour l’Égalité des chances entre les hommes et les femmes du Parlement de Wallonie.

 

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