Question
orale du 28 septembre 2021 de Sabine ROBERTY à Bénédicte LINARD, ministre de l’Enfance,
de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes, intitulée « Mesures
de lutte contre les mariages forcés »
Selon
l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « à partir de
l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la
nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille.
[…] Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des
futurs époux ». En Belgique, légalement, chacun est pleinement libre de choisir
son ou sa partenaire. Dans le cas d’un mariage, ni les parents ni l’entourage
ne peuvent choisir le partenaire à la place des personnes concernées. Pourtant,
en 2021, le mariage forcé existe encore en Belgique. Si l’une des deux
personnes au moins n’a pas donné son libre et plein consentement, le mariage
est contracté sous contrainte physique et/ou morale. À n’en pas douter, il
s’agit d’une forme de violence, laquelle est liée à une notion d’honneur. Les
autres violences qui en découlent sont nombreuses : le chantage affectif, les
intimidations, les insultes, les privations en tout genre, l’interdiction de
continuer ses études, les séquestrations ou les agressions physiques. Parfois,
malheureusement, l’issue est la mort. Il existe peu de chiffres concernant le
mariage forcé et ceux dont nous disposons ne reflètent probablement pas toute
la réalité. Les victimes dénoncent rarement ces faits et violences dans la mesure
où ils sont souvent perpétrés par leur propre famille. L’Institut pour
l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) a recensé 110 cas entre 2016 et 2019.
Certaines associations de terrain, comme le Réseau mariage et migration et le
service Droits des jeunes de Liège, traitent entre vingt et trente cas par an.
Madame la Ministre, une campagne intitulée « Mon mariage m’appartient » a été
lancée par le Réseau mariage et migration avec le soutien de la Fédération
Wallonie-Bruxelles et d’Alter Égales. Pourriez-vous nous en dire plus à ce
sujet ? En tant que ministre des Droits des femmes, vous vous êtes pleinement
investie dans l’élaboration des mesures du Plan intra-francophone de lutte
contre les violences faites aux femmes et du Plan « Droits des femmes », dans
lesquels se retrouvent de nombreuses mesures pour lutter contre le mariage
forcé et les violences liées à l’honneur. Parmi elles, citons la création d’un
hébergement spécifique dédié aux victimes mineures de mariage forcé, le
renforcement de l’accueil et de la prise en charge des victimes de mariages
forcés et de violences liées à l’honneur ou encore la pérennisation de la
subvention accordée ponctuellement à la ligne téléphonique du Réseau mariage et
migration. Qu’en est-il de l’opérationnalisation de ces mesures ? Quelles
politiques existent actuellement pour soutenir les femmes victimes d’un mariage
forcé ? La campagne « Mon mariage m’appartient » informe les jeunes sur les
droits relatifs au mariage et les aide à trouver du soutien face à un risque
éventuel de mariage forcé. L’outil est-il suffisamment fonctionnel ?
Existe-t-il un partage de réflexion ou des contacts avec d’autres niveaux de
pouvoir comme les communes ou les officiers de l’état civil ? Étant aux
premières loges, ces derniers disposent d’informations afin d’agir au mieux
lorsqu’ils soupçonnent une union forcée. Il est nécessaire de se nourrir de
l’expertise de terrain. Ma dernière question concerne vos compétences dans le
domaine de l’Enfance, mais elle me semble incontournable. De nombreuses
promesses de mariage sont conclues dès la naissance. Dès lors, l’Office de la
naissance et de l’enfance (ONE) a-t-il un rôle à jouer dans la prévention et
l’information et la sensibilisation des parents ? Dans l’affirmative, comment
ce rôle peut-il se décliner ?
Réponse
de Bénédicte LINARD, ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias
et des Droits des femmes, intitulée « Mesures de lutte contre les mariages
forcés »
La
campagne « Mon mariage m’appartient » a été lancée pour la première fois en
2012. Un site d’information pour les jeunes concernés, ainsi que les
professionnels qui les accompagnent a alors été construit. En 2014, la campagne
« Envie d’aimer » visant à sensibiliser au libre choix de son ou sa partenaire
a été lancée. En 2017, la ligne d’écoute du Réseau mariage et migration a été
mise en service au numéro gratuit 0800/90 901. Depuis près de dix ans, le
Réseau mariage et migration est également soutenu pour assurer la visibilité du
site et de la ligne d’écoute. Des affiches ont été placées sur des panneaux
d’affichage permanents dans les stations de métro de Bruxelles. J’ai décidé
d’apporter un soutien supplémentaire à la diffusion des visuels de la campagne
« Mon mariage m’appartient ». Ainsi, une campagne en ligne de prévention des
mariages forcés sera prochainement publiée sur les réseaux sociaux. Il s’agit
d’un spot vidéo de vingt secondes et de visuels statiques renseignant le numéro
vert du Réseau mariage et migration. Le projet est soutenu en dehors du
dispositif Alter Égales. En Belgique, il n’existe actuellement aucun outil pour
comptabiliser de manière centralisée le nombre de mariages forcés ou de cas de
violences liées à l’honneur. Certains chiffres sont disponibles, mais ils ne
laissent entrevoir qu’une très faible partie de la réalité. Le Réseau mariage
et migration a recensé près de 70 appels en 2019 et près de 60 en 2020.
L’association a constaté une légère diminution du nombre d’appels l’an dernier,
sans doute en raison des possibilités de contact plus limitées des victimes
avec les associations spécialisées. L’ASBL fait également de la sensibilisation
sur internet : « Mon mariage m’appartient » est un dispositif visant à informer
les jeunes de leurs droits et à leur donner des conseils sur les actions
préventives qu’ils peuvent mener. C’est aussi un moyen de les informer sur
l’existence de la ligne d’écoute. Le Plan « Droits des femmes » et le Plan
intra-francophone de lutte contre les violences faites aux femmes prévoient la
création d’un hébergement spécifique dédié aux mineures victimes d’un mariage
forcé. Il s’agit d’une compétence de la ministre Glatigny. Par ailleurs,
l’appel à candidatures visant à financer cinq collectifs luttant contre les
violences prévoit qu’au moins l’un d’entre eux agisse dans des situations de
violences liées à l’honneur. Le Réseau mariage et migration dispense également
des formations aux agents communaux chargés de l’état civil afin de leur
permettre de réagir adéquatement en cas de suspicion. En Wallonie, les
plateformes provinciales de lutte contre les violences faites aux femmes
assurent un travail local de réseautage et de coordination entre les différents
acteurs œuvrant à la prévention et à la lutte contre les violences faites aux
femmes. Dans ce cadre, des collaborations sont également menées entre les
acteurs au sujet des mariages forcés et des violences liées à l’honneur. Enfin,
l’ONE, en tant que pouvoir mandant des équipes SOS enfants, peut intervenir en
cas de suspicion de violences liées à l’honneur et de risque de mariage forcé.
Réplique
de Sabine ROBERTY
Madame
la Ministre, vous avez parlé d’affiches dans les métros de Bruxelles. Les
mariages forcés n’ont pas uniquement lieu dans la capitale. Il convient donc
d’élargir la zone de communication. Je me réjouis du fait que vous ayez décidé
d’amplifier la sensibilisation avec une campagne en ligne et des spots vidéo.
Dans une autre vie, j’ai exercé le métier d’officier de l’état civil. Ces
agents sont souvent confrontés non seulement aux mariages forcés, mais aussi
aux mariages gris et blanc. Les officiers de l’état civil ne dépendent pas de
la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais de l’État fédéral. Les agents communaux
gagneraient à recevoir une formation au sujet du mariage forcé, bien qu’ils y
soient déjà préparés dans la plupart des communes. Certains officiers de l’état
civil placent à l’entrée de la salle des mariages une affiche qu’ils rédigent
et signent en leur nom. Ce document demande de prévenir discrètement l’officier
si on est victime d’un mariage forcé. Le jour du mariage, cet employé est le
seul dans la salle à pouvoir dénoncer les violences et refuser de marier deux
personnes. Il peut contacter le procureur du Roi à ce sujet. Nous n’imaginons
pas toute la détresse et les difficultés qu’engendrent de telles situations. Au
moment d’établir un contrat de mariage, les regards en disent beaucoup plus
long que les discours. Il est essentiel de faire de la prévention dès le plus
jeune âge. Parfois, des jeunes sont mariés très tôt, avant même leur passage
par la commune. Après le mariage, le délai est de trois ans pour signaler
réagir auprès du procureur du Roi. Madame la Ministre, je vous remercie d’être
attentive à ce phénomène.
Photo de Caio provenant de Pexels