La réforme des milieux d’accueil est source de crainte pour les accueillantes, en particulier les crèches privées. Ce décret vise à harmoniser les structures et à augmenter l’accessibilité pour l’ensemble des publics. Comment assurer efficacement cette réforme ?
Question de Sabine Roberty à Bénédicte Linard, Ministre de l’enfance, de la santé, de la culture, des médias et des droits des femmes
Madame la Ministre, vous avez déjà eu l’occasion de vous exprimer sur les craintes des crèches privées lors de la dernière séance plénière, mais de nouveaux éléments concernant l’application de la réforme ayant été mis en avant, c’est l’occasion pour nous de revenir sur ce dossier particulièrement important.
Ce nouveau décret tend à atteindre l’harmonisation des structures dont nous avons grandement besoin. Il semble unanimement admis qu’une réforme du secteur fût effectivement indispensable.
Aujourd’hui, la mise en œuvre de la réforme fait réagir le secteur d’accueil autonome concernant le statut des travailleurs et l’obligation de choisir entre le statut d’association sans but lucratif (ASBL) et celui de la société coopérative à finalité sociale. Dernièrement, la question des contrôles inopinés dans les crèches, dont les prérogatives seront élargies, a également été soulevée par les professionnels du secteur.
Vous avez précisé que l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) était revenu vers vous en confirmant que cette mise en œuvre comportait un certain nombre de difficultés. Pouvez-vous revenir en détail sur la position de l’ONE au sujet des différentes inquiétudes exprimées dans la presse ces dernières semaines? Par ailleurs, pourriez-vous préciser les modalités d’octroi de dérogations que l’ONE et vous-même avez évoquées ?
Une rencontre avec le secteur et votre cabinet a-t-elle déjà été prévue? Avez-vous également eu l’occasion de rappeler qu’un phasage est prévu, avec une période transitoire allant jusqu’à la fin de 2025? Pouvez-vous revenir sur l’agenda arrêté actuellement?
Finalement, en ce qui concerne la question des contrôles, pouvez-vous nous donner davantage d’informations sur la manière dont ceux-ci seront organisés? Ne craignez-vous pas des effets pervers tels que le développement de crèches clandestines?
Réponse de Bénédicte Linard, Ministre de l’enfance, de la santé, de la culture, des médias et des droits des femmes
Je vous remercie, Mesdames, d’avoir abordé le sujet, puisque les deux minutes prévues pour répondre aux questions d’actualité sont bien insuffisantes pour développer une réponse conforme à vos attentes. La réforme a été votée durant la législature précédente par la majorité d’alors.
Elle marque effectivement une avancée dans la bonne direction et soulève aujourd’hui des questions. Je partage évidemment avec vous l’idée que la qualité de l’encadrement est primordiale. La réforme s’est construite sur ce postulat. S’agissant de la formation initiale, il est important de rappeler la logique générale de la réforme et en particulier les points suivants.
Premièrement, l’identification de trois fonctions dans les milieux d’accueil: la direction, l’encadrement psychomédicosocial et l’accueil des enfants, auxquels correspondent trois groupes de formation reconnue. Ceci permet d’éviter la situation actuelle où pour une même fonction, les formations reconnues diffèrent d’un type de milieu d’accueil à l’autre. La réforme a fait une avancée en ce sens.
Deuxièmement, les études préparatoires menées par l’ONE ont mis en avant l’importance de développer des logiques de mobilité horizontale et verticale pour les professionnels du secteur.
Troisièmement, au-delà des textes actuels de la réforme, des chantiers importants sont encore en cours et appelés à compléter le dispositif de formation initiale. La création d’un bachelier en éducation et accueil de l’enfance, le rapprochement des cursus qui donnent accès à la fonction d’accueil des enfants et la création d’un certificat d’enseignement supérieur pour la direction font partie du travail en cours au sein du Service francophone des métiers et des qualifications (SFMQ). Ces chantiers ne sont pas encore terminés.
En ce qui concerne la question du renforcement des niveaux de qualification, il faut souligner la complexité de la fonction d’accueil de l’enfant et des conditions pour assurer sa qualité, notamment parce que les enfants n’ont pas encore accès au langage pour exprimer leurs besoins et vivent une étape particulièrement importante de leur développement. Il importe donc que les professionnels de l’enfance puissent développer des compétences qui, à l’instar des métiers de l’enseignement, ne peuvent s’acquérir au cours d’une formation de durée réduite.
Dans de nombreux pays, nous remarquons d’ailleurs que l’accueil des jeunes enfants est assuré par des personnes disposant d’un diplôme de master ou de bachelier. Différents rapports européens sur le développement de la qualité des établissements d’accueil et d’éducation du jeune enfant attestent de la nécessité d’une formation de haut niveau. À titre d’exemple, le rapport européen «Smarter, greener and more inclusive? Indicators to support the Europe 20/20 strategy» indique que la formation de niveau secondaire supérieur est le niveau de réussite minimal attendu pour les citoyens de l’Union européenne. Les aptitudes et compétences acquises à ce niveau sont considérées comme essentielles pour une entrée réussie sur le marché du travail et comme fondement de l’apprentissage de l’adulte. Si vous souhaitez le consulter, cela figure à la page 88 du rapport.
Le Code de qualité européen est un des fondements de la réforme. Il souligne que les structures d’éducation et d’accueil des jeunes enfants peuvent améliorer la performance scolaire subséquente de l’enfant, si elles sont de haute qualité et au contraire lui nuire si elles sont médiocres.
L’harmonisation des compétences et l’évolution vers le niveau minimum du CESS, avec une extension future vers un baccalauréat en éducation et accueil de l’enfant va donc dans le sens du renforcement progressif de la formation initiale, en cohérence avec la volonté de renforcement de la qualité de l’accueil.
Par ailleurs, l’objectif de mobilité verticale des professionnels, par exemple, des fonctions d’accueil de l’enfant vers un niveau bachelier pour l’encadrement psychomédicosocial ou la direction repose aussi sur l’obtention du niveau de base du CESS.
Quant au nombre des inscriptions, à ce stade relevé uniquement à Bruxelles, nous devons rester prudents sur les raisons de leur baisse, pour la formation «chef d’entreprise-accueillant d’enfant». Les causes pourraient être contextuelles et liées à une phase de transition entre la réalité des qualifications et les débouchés des étudiants de l’IFAPME et du SFPME, contexte antérieur aux changements apportés par ces organismes de formation en 2019.
À l’avenir, les étudiants qui se sont inscrits et s’inscriront auront accès à l’ensemble des fonctions d’accueil des enfants, dans tous les types de milieux d’accueil. Actuellement, les débouchés étaient limités aux accueillantes autonomes, conventionnées et aux maisons d’enfants. Il me revient que la baisse résulterait aussi du fait que les titulaires du diplôme IFAPME-SFPME n’étaient pas éligibles dans le projet pilote permettant le passage au statut de salarié des accueillantes conventionnées. Dorénavant, ce ne sera plus le cas ! De multiples facteurs peuvent donc influencer la situation. Restons attentifs à cette évolution.
S’agissant des relations avec les opérateurs régionaux, dès l’adoption de la réforme, l’ONE a pris contact avec les organismes de formation pour envisager des mesures à court terme. Ensuite, la question relative à l’émancipation des femmes peu qualifiées n’est pas perdue de vue. Il faut garder l’équilibre entre leur situation personnelle et les aspects évoqués ci-dessus, à savoir développer la qualité et professionnaliser le service d’accueil de la petite enfance. C’est pourquoi deux formations en promotion sociale reconnues octroient une formation complémentaire donnant accès au CESS.
L’ONE travaille actuellement à ce que ce volet CESS soit adapté et plus intégré dans ces cours. Enfin, même si la majorité des professionnels de l’enfance sont des femmes, l’égalité des genres est une considération soulignée par l’Union européenne. Des rencontres sont organisées pour écouter les inquiétudes du secteur.
L’ONE a été sollicité par la Fédération des associations d’accueillantes de jeunes enfants (FEDAJE) pour rencontrer les responsables de maisons d’enfants et des accueillantes autonomes, l’objectif étant d’écouter leurs réactions, de clarifier la mise en œuvre de la réforme et de les rassurer à ce sujet. Un dialogue a donc été instauré entre les acteurs du secteur et l’ONE. Les réactions des milieux d’accueil du secteur privé, et en particulier des indépendants autorisés à gérer une maison d’enfants, portent principalement sur deux questions: le changement de type de pouvoir organisateur (PO) et le statut du personnel. Je tiens à préciser que l’ensemble des PO du secteur subventionné par l’ONE actuellement sont déjà des ASBL ou des pouvoirs publics.
Pour les co-accueillantes autonomes, rien ne change. Le changement porte principalement sur les PO des maisons d’enfants, c’est-à-dire des milieux d’accueil collectifs non subventionnés par l’ONE. Seuls 40 % de ces milieux d’accueil ont comme PO une personne physique ou une association de fait. Pour ces derniers, l’obligation de changer de statut s’impose à la fin de la période transitoire, le 31 décembre 2025. Sauf dérogation octroyée par l’ONE.
Cette période sera mise à profit pour accompagner les PO et envisager avec eux les différentes possibilités en fonction de leur situation particulière. Une des conclusions pourrait être le maintien du statut actuel au travers d’une dérogation, laquelle peut être à durée indéterminée, comme le prévoit la réglementation. En revanche, si le PO souhaite bénéficier du niveau 1 de subvention, il devra d’abord adopter un des types reconnus. À ce stade, le financement du niveau 1 n’est pas prévu en 2020. La question se posera au plus tôt en 2021, en fonction des moyens prévus pour la suite de la réforme. J’espère que ceci répond en partie à vos questions.
Le deuxième point vise le statut du personnel du milieu d’accueil, qui, dans le cadre de la réforme, doit être soit salarié, soit statuaire, soit sous convention de stage longue durée. La FEDAJE et plusieurs pouvoirs organisateurs ont attiré l’attention de l’ONE sur la difficulté que ce changement poserait pour l’équilibre financier d’un certain nombre de maisons d’enfants.
Ces PO ont conclu des conventions avec des travailleurs indépendants pour l’encadrement des enfants ou la direction. Le passage au statut de salarié représentait une hausse des coûts de fonctionnement pouvant mettre en péril la viabilité financière de la maison d’enfants. Il convient de rappeler ici que ce type de convention doit être conclu dans le respect des règles en matière de statut social, afin d’éviter toute difficulté avec l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI) ou l’Office national de sécurité sociale (ONSS). L’ONE procédera par étape. Dans les structures concernées, les conventions de collaboration en place seront maintenues et la possibilité de remplacement sera offerte jusqu’à la fin de la période transitoire, c’est-à-dire le 31 décembre 2025. L’ONE recensera ensuite les structures concernées afin d’évaluer concrètement la situation et envisager les pistes de solution pour l’avenir. L’ONE n’est pas resté sourd à cette question.
Quant à celles et ceux qui avaient un projet entrepreneurial en route, les demandes d’autorisation dont le dossier est complet et qui ont été introduites avant le 31 décembre 2019 seront gérées selon l’ancienne réglementation.
Pour le cas particulier des titulaires d’un diplôme de chef d’entreprise-directeur de maisons d’enfants qui ne sont pas en fonction au 1er janvier 2020, ceux-ci pourront être directeurs d’une crèche non subventionnée, à condition d’avoir été diplômés dans les trois ans qui précèdent l’entrée en vigueur, soit entre le 1er janvier 2017 et le 1er janvier 2020. Cette limite pourra être étendue au cas par cas, moyennant la preuve de l’existence d’un projet concret de création de milieux d’accueil.
Outre les modifications des programmes de formations existantes, il conviendrait de prévoir la possibilité de validation des compétences par rapport aux profils métier et de formation dans le champ de l’enfance. Cette validation pourrait être accordée par le consortium de validation des compétences. Il est à noter que l’article 10 de l’arrêté transitoire prévoit déjà la possibilité d’extension des passeports, par un processus de validation des compétences. Le personnel salarié des milieux d’accueil du secteur privé, en ce compris les maisons d’enfants, relève de la commission paritaire n° 332. Les barèmes de ces commissions paritaires sont donc applicables.
D’après les premières informations dont je dispose, il apparaît que tel est également le cas des quatre jours de congés sectoriels, et ce, sans distinction en fonction du caractère subventionné. S’agissant de la prime de fin d’année, les maisons d’enfants en seraient actuellement exclues, car leur personnel n’est pas subventionné. Il devrait en être de même pour les crèches non subventionnées par l’ONE, c’est-à-dire celles correspondant au niveau 0 de subvention. La situation des crèches de niveau 1 devra être clarifiée avec les partenaires sociaux membres de la commission paritaire n° 332.
Un des objectifs de la réforme est le maintien et le développement de l’offre d’accueil, ainsi que la diversité de l’offre. Des mesures et des délais sont prévus pour assurer la transition ainsi qu’un accompagnement.
À ce stade, il ne semble pas nécessaire de modifier le dispositif, mais une vigilance sera maintenue à cet égard. Par ailleurs, une subvention exceptionnelle d’impulsion a été prévue en 2019 à hauteur d’environ 300 euros par place pour soutenir la transition. Comme pour tout processus de changement, il convient d’abord de clarifier les choses et de bien accompagner les évolutions. C’est donc par-là que nous commençons.