Si une légère amélioration est constatée à la fin de la décennie étudiée, les résultats démontrent bel et bien que la parité est encore loin d’être atteinte dans le cinéma belge francophone. Quels freins empêchent encore aujourd’hui les femmes de prendre leur place dans le milieu du cinéma ?
Question orale du 4 juillet 2023 de Sabine Robert à Bénédicte Linard, Ministre des médias et des droits des femmes (Question groupée avec le Groupe PTB)
«Au niveau européen, la part des films de réalisatrices est passée, entre 2012 et 2021, de 19 à 23,6 %, ce qui à ce rythme, pourrait nous permettre d’atteindre la parité… en 2080!» Voici une phrase qui illustre bien les conclusions de l’importante étude genrée intitulée «Devant et derrière la caméra, Elles font des films» et présentée le 22 juin dernier au cinéma Galeries, à Bruxelles. L’étude confirme les inégalités dans le cinéma belge francophone. Lancée par le collectif Elles font des films, en collaboration avec Alter Égales et sous la direction de Sarah Sepulchre, elle avait pour ambition d’objectiver la situation pour tendre davantage vers la parité dans tous les métiers du cinéma.
Si une légère amélioration est constatée à la fin de la décennie étudiée, les résultats démontrent bel et bien que la parité est encore loin d’être atteinte: seuls 36 % des films d’initiative belge francophone sont réalisés par des femmes et, parmi ceux-ci, 21 % sont des longs-métrages et 45 % des documentaires, ce qui induit que les budgets qui leur sont alloués sont moins élevés. Autre chiffre: trois femmes passent du court-métrage au long-métrage, pour neuf hommes. De plus, l’immense majorité de ces femmes restent cantonnées au premier ou au deuxième long-métrage. Enfin, les postes décisionnels sont majoritairement occupés par des hommes: on compte 34,36 % de réalisatrices seulement, 31,11 % de femmes scénaristes, 21,8 % de productrices et 16,5 % de directrices de la photographie. En ce qui concerne les personnages des films, les femmes sont aussi sous-représentées et leurs rôles moins diversifiés.
Cette nouvelle étude permet de cerner la place des femmes dans les métiers du cinéma et doit conduire à de nouvelles mesures pour renforcer l’égalité dans le secteur en Belgique francophone.
Madame la Ministre, comment accueillez-vous les résultats de cette étude? Disposez-vous d’autres données qui permettent d’objectiver la situation? Avez-vous eu une discussion avec le collectif Elles font des films? Si oui, qu’en ressort-il? Avez-vous identifié les freins qui empêchent, encore aujourd’hui, les femmes de prendre leur place dans les métiers du cinéma?
Une disposition du Plan «Droits des femmes» vise à introduire une dimension genrée dans la sélection de projets culturels. Dans le domaine audiovisuel, il s’agi- rait de proposer des formations données par le Centre du cinéma et de l’audiovi- suel (CCA). Où en est la concrétisation de cet axe particulier du plan? D’autres mesures ont-elles déjà été mises en œuvre pour tendre davantage vers la parité dans le secteur?
Réponse de la ministre :
Le cinéma et, plus largement, la culture contribuent directement au regard que nous posons sur le monde. Pour cela, la culture doit plus que jamais être le reflet de notre société et de toutes celles et ceux qui en font partie.
Une analyse financée par la Fédération Wallonie-Bruxelles et conduite par le col- lectif Elles font des films en collaboration avec Alter Égales met en avant des conclusions préoccupantes. Il s’agit principalement d’une analyse quantitative de plus de 700 films produits en Fédération Wallonie-Bruxelles entre 2011 et 2020. À mon sens, il faudra compléter cette étude en poursuivant l’analyse quan- titative durant les années suivantes afin d’évaluer l’impact des mesures prises depuis le début de la présente législature, en 2020. Il serait aussi intéressant de produire une analyse qualitative pour obtenir l’éclairage nécessaire qui nous gui- dera pour les prochaines initiatives à prendre. Bien que de plus en plus de jeunes filles s’inscrivent dans nos écoles de cinéma, certaines réalisatrices ne réalisent qu’un ou deux films, alors que les réalisateurs font une carrière plus longue. Cela donne matière à réflexion.
Ces dernières années, j’ai soutenu de nombreuses actions accompagnées par le CCA afin de renforcer la parité et la diversité au sein du cinéma belge. En guise d’exemple, nous avons instauré la parité dans les commissions d’avis et financé des études, comme celle du collectif Elles font des films, dans le but d’objectiver l’évolution de la place et de la représentation des femmes à l’écran. Nous avons également proposé diverses formations, consacrées à la lutte contre les stéréo- types et les biais de genre, à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles sur les lieux de tournage, ou encore à la gestion de l’intimité sur les tournages. Enfin, une fiche relative à la diversité est désormais obligatoire pour tout projet déposé. Chacune de ces actions est une étape dans la bonne direction.
Déjà, nous constatons une évolution positive qui se traduit, entre autres, dans les chiffres des projets déposés par des femmes réalisatrices et/ou scénaristes. Ainsi, en 2022, la proportion de femmes est au plus haut depuis 2017; elle est d’ailleurs.
en progression de 7 % sur les cinq dernières années. Il convient néanmoins de poursuivre le travail entamé et de continuer à objectiver la situation dans les années à venir afin de suivre de près l’impact des mesures récentes que je viens de vous détailler.
Je suis convaincue que le monde politique devrait être prêt à pousser sur l’accé- lérateur. J’ai récemment discuté avec mon homologue française, Mme Rima Ab- dul-Malak, au sujet de l’incitant financier à la parité instauré en France. Ce mécanisme vise à soutenir les films dont les équipes sont paritaires. Nous suivrons son déploiement chez nos voisins pour en évaluer les bénéfices, et si ce signal fi- nancier est nécessaire pour avancer plus de diversité sur nos écrans à l’issue du travail de sensibilisation, nous devrons l’envisager en Belgique francophone. Cette réflexion sera évidemment menée avec le secteur, par le biais de la Chambre de concertation du cinéma.
Nous échangeons régulièrement et de manière constructive avec le collectif Elles font des films, et aussi avec les autres associations dont la mission porte sur la parité de genre dans le cinéma en Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous soutenons ce collectif et avons d’ailleurs financé cette étude. Nous avons également financé l’association «Paye ton tournage» dans le cadre du projet de lutte contre les vio- lences sexistes et sexuelles dans le monde audiovisuel belge, projet qui se traduit par des formations de sensibilisation destinées aux producteurs et professionnels du secteur, ainsi qu’aux étudiants des écoles de cinéma en Fédération Wallonie- Bruxelles. Ce soutien financier, démarré en 2022, est conjoint au CCA et à la Di- rection générale de l’Égalité des chances; il sera prolongé en 2023 et 2024.
Nous avons besoin de plus de regards féminins à l’écran, de plus d’équipes fémi- nines, de plus de réalisatrices et de plus de films portés par des femmes. C’est grâce à cela que nous ferons évoluer les mentalités dans le milieu de cinéma et contribuerons à un monde plus juste.
Réplique de la députée
Madame la Ministre, je vous remercie pour la com- plétude de votre réponse. C’est une excellente idée de compléter l’étude avec une analyse quantitative et qualitative pour mesurer les conséquences des mesures prises depuis 2020. Je suis heureuse que vous soyez prête à donner un coup d’ac- célérateur, notamment par le biais d’un incitant financier. Il pourrait s’envisager avec l’aide et la concertation du secteur.
Bien que la situation et les statistiques évoluent, le chantier semble malheureu- sement encore énorme puisqu’à ce rythme, la parité ne serait atteinte qu’en 2080, selon l’étude. J’espère que votre coup d’accélérateur permettra d’augmenter le nombre de femmes dans le domaine du cinéma pour plus de justice sociale, d’éga- lité, de diversité, tant à l’écran que derrière les caméras.
Par ailleurs, la thématique est transversale et certains aspects, comme celui des formations, concernent d’autres niveaux de pouvoir. Je sais que vous êtes très
Source : Compte-rendu intégral de la réunion de la commission de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes – Séance du mardi 4 juillet 2023