PW – La campagne « jagis.be » contre le harcèlement de rue

La Wallonie lance sa campagne « jagis » pour sensibiliser au harcèlement de rue et donner des clés aux témoins.

Question orale de Sabine Roberty du 16/03/21 à Christie Morreale, Ministre des droits des femmes

Madame la Ministre, 98 % des femmes sont victimes de harcèlement de rue. Voici un des nombreux chiffres ressortis à l’occasion de la journée du 8 mars.

Aujourd’hui, les nombreux témoignages continuent de démontrer la prégnance du sexisme dans l’espace public qui reste, malheureusement, une réalité quotidienne. Sensibiliser et lutter contre la banalisation de ces comportements restent un enjeu fondamental.

Pour lutter contre ce phénomène, vous annonciez l’année dernière, en collaboration avec votre ministre de la Mobilité, M. Henry, un renforcement de la lutte contre le harcèlement dans les transports en commun.

Cette campagne, intitulée « jagis.be », vient justement d’être lancée pour sensibiliser le public et donner des clés aux témoins pour qu’ils puissent réagir. Pouvez-vous revenir sur le lancement de cette campagne ?

À l’entame du projet, il était prévu que l’OTW libère des espaces publicitaires pour une durée d’un mois. Est-ce la solution qui a finalement été privilégiée ? Si oui, un renouvellement de la campagne est-il envisageable ?

Outre cette mesure, quelles sont les actions que le Gouvernement entend renforcer ou développer afin d’accroître la lutte contre le harcèlement dans l’espace public ?

Réponse de la ministre :

Mesdames les Députées, face à la persistance du harcèlement sexiste dans l’espace public et sur base de la résolution du Parlement votée le 28 février 2018, j’ai, avec mon collègue en charge de la Mobilité, Philippe Henry, souhaité renforcer la conscientisation de tous en lançant une campagne de sensibilisation qui appelle à la responsabilité de chacun, mais en donnant aussi aux témoins de la scène l’occasion de réagir et des outils parce que, dans 80 % des cas, les témoins ne réagissent pas. Or, il y a des moyens faciles, sans risquer de se mettre en danger, pour réagir et pour arrêter la situation de harcèlement.

La campagne se compose de plusieurs capsules vidéo mettant en scène trois témoins qui interviennent lors d’une situation de harcèlement. Elles sont actuellement diffusées sur les réseaux sociaux et en télévision jusqu’au 22 mars prochain.

Il y a également une campagne d’affichage sur 200 bus TEC de Wallonie et un site internet, jagis.be, qui donne des informations pour les victimes et pour les témoins ainsi que sur les possibilités pratiques et légales qui existent pour faire cesser ou pour faire face aux situations de harcèlement.

L’Opérateur de transport de Wallonie, l’OTW, a, pour l’occasion, libéré gratuitement et jusqu’au 22 mars plusieurs espaces publicitaires, dont certains à l’intérieur et à l’extérieur de 200 bus TEC dans les grandes villes de Wallonie.

Dans le plan Genre 2020-2024, qui a été approuvé le 4 mars dernier, il est aussi prévu toute une série d’aménagements d’espaces publics pour augmenter la lutte contre le harcèlement.

Même si, à première vue, l’accès aux rues, aux transports en commun et aux espaces publics se fait de manière égale pour les hommes et pour les femmes, la réalité est toute autre puisque l’espace public est généralement pensé par et pour les hommes. Il en résulte un sentiment régulier d’insécurité pour les femmes, ce qui les pousse à consommer l’espace public différemment et à organiser des phénomènes de déplacement pour éviter des situations de harcèlement, que la majorité d’entre nous connaissons : 98 % des femmes sont confrontées à ces situations de manière quotidienne ou hebdomadaire.

Le renforcement de la sécurité des RAVeL ou encore la promotion du genre dans le cadre des actions menées en matière de développement urbain et d’aménagement de l’espace public ont été prévus, ce dont je me réjouis.

Depuis notre résolution de 2018 avec l’ensemble des partis, les TEC ont développé un plan d’action qui comprend notamment la formation des conducteurs sur les comportements à adopter s’ils sont témoins de faits de harcèlement ou si de tels faits sont signalés. Ils ont également mis l’information dans la charte de bonne conduite.

Ils ont aussi – c’était l’une de nos demandes – proposé, dans le cadre de l’évaluation que l’on fait à l’égard des usagers chaque année, si la personne a été confrontée à une situation de harcèlement.

Je crois que poser le mot montre d’ailleurs – ils ont commencé le travail – qu’il y a au moins 15 % des gens qui le déclarent. Alors que si l’on regarde à l’époque, quand on en avait demandé à l’ancien ministre des Transports : « Le phénomène existe-t-il ? » Il avait dit : « Il n’existe pas, il n’y a pas de plainte ». Évidemment, on ne leur demandait pas et il n’y avait pas la charge de la preuve.

Ici, on donne des outils, on forme les conducteurs, on forme les travailleurs du TEC, on pose les mots, on demande dans les enquêtes de satisfaction si c’est un problème en soi. Cela permet à l’opérateur de mieux prendre en compte cette réalité-là, parce que ceux qui l’imaginent, ceux qui la construisent ne sont pas toujours ceux et celles qui sont confrontés à cette situation, en l’occurrence si ce sont des hommes.

Puis, cette thématique a été mise à l’agenda de la conférence interministérielle Droits des femmes dont j’occupe la coprésidence avec Antonios Antoniadis. Il est important de lutter contre la banalisation des actes de harcèlement qui ne peuvent pas rester sans réponse. La CIM a entamé des travaux sur cette thématique avec des auditions d’experts qui ont eu lieu le mois dernier, notamment avec le parquet et la police liégeoise.

Je ne sais pas si j’ai eu l’occasion de vous l’expliquer, mais la police liégeoise avait organisé l’été dernier une opération où une policière en civile avec deux autres policiers situés derrière ont noté et interpellé les personnes qui étaient manifestement en situation de harcèlement à l’égard de la policière en civile. Ils ont verbalisé, signalé, discuté ou entamé une formation avec elles.

Praxis s’occupe par exemple du suivi des auteurs de violence. Praxis a pris de manière exceptionnelle cette thématique pour pouvoir accompagner les auteurs et qu’ils prennent conscience que c’est un délit, que c’est problématique et qu’ils doivent changer leur comportement en rue et chez eux.

Il est important de lutter contre la banalisation des actes de harcèlement. À la lumière des auditions, un groupe de travail va se réunir fin du mois pour envisager les mesures concrètes pour renforcer la prévention de ce phénomène et la protection des victimes. L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes viendra aussi nous dresser un état des lieux de la législation en vigueur de manière à entamer, sous la houlette du cabinet de la ministre Schlitz, une réflexion approfondie sur les pistes d’évolution.

La loi de 2014, appelée la loi Milquet, qui fixe le harcèlement dans le Code pénal, était une loi symbolique, mais une loi importante pour pouvoir nommer les choses. Aujourd’hui, on se retrouve sept ans plus tard. Je pense qu’il est temps de pouvoir procéder à une évaluation de cette loi et pouvoir, le cas échéant, la modifier pour pouvoir faire en sorte que la charge de la preuve ou que les poursuites puissent s’exercer en cas de harcèlement sexiste effectif.

Réplique de la députée :

Une réponse particulièrement complète. Je ne serai pas très longue. Je veux juste dire que jagis.be a au moins le mérite d’être clair et que la campagne de communication l’est tout autant. Je pense que quelque chose d’important quand on veut communiquer est d’être clair dans ce que l’on dit. Jagis.be, cela veut tout dire parce que, comme vous l’avez dit, tant qu’il n’y a pas de plainte, il n’y a pas de problème. C’est justement aujourd’hui qu’ils vont tous peut-être apparaître les uns après les autres.

Je pense que l’on a du travail et que ce sera encore une opportunité malheureuse de revenir régulièrement en commission de travail pour en parler. Cela nous pend, à toutes et à tous, au nez. J’espère que, ensemble, d’ici à 2025, soit avec une modification du cade légal, soit grâce à tout ce qui sera mis en place au niveau de ce plan Genre et de jagis.be, on pourra peut-être faire en sorte de mettre un terme à tout cela. C’est un vain espoir peut-être, mais un espoir malgré tout. Je vous remercie pour vos réponses.

Source : Compte-rendu intégral de la commission de l’emploi, de l’action sociale et de la santé du 16/03/21 du Parlement de Wallonie