Centres d’archives privées : des trésors menacés par l’incertitude

Visite de terrain de l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES) et question à la Ministre-Présidente en charge de la Culture

Fin octobre, j’ai eu le plaisir d’aller à la rencontre de l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES) à Seraing, un centre d’archives privées qui, depuis près de quarante ans, préserve la mémoire des travailleurs et de leurs luttes pour l’émancipation.

À travers une riche collection de documents, l’IHOES fait vivre ce patrimoine unique et le valorise grâce à des animations citoyennes, expositions, conférences, tout en nourrissant les réflexions actuelles avec des études et articles.

Cependant, leur formidable travail pour la préservation de notre patrimoine et de notre mémoire collective est menacé. Cela fait de nombreuses années qu’ils font face à des difficultés financières, mais aujourd’hui, il y a urgence : ils n’ont toujours aucune information quant à leurs financements pour les cinq prochaines années.

Cette incertitude compromet gravement leurs missions et leur fonctionnement. J’ai donc interrogé la Ministre-Présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour faire le point et relayer leurs inquiétudes. Malheureusement, les nouvelles ne sont pas réjouissantes. Je suivrai de près ce dossier dans les mois à venir pour que le secteur puissent poursuivre pleinement et sereinement son travail.

Question orale de Sabine Roberty à Elisabeth Degryse, Ministre-Présidente en charge de la Culture :

Les centres d’archives privées qui le souhaitaient avaient jusqu’au 31 mars 2024 pour déposer leur dossier afin d’obtenir une reconnaissance et un subventionnement de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour les cinq prochaines années. L’administration et la session «archives» de la Commission des patrimoines culturels ont analysé tous les dossiers au printemps dernier et ont rendu leurs avis. Ceux-ci ont été transmis à votre cabinet, Madame la Ministre, de même que les besoins budgétaires correspondant à ces reconnaissances. Pourtant, sauf erreur de ma part, les centres d’archives privées n’ont toujours pas été informés du statut de leur dossier. Cette situation incertaine est très inconfortable pour eux à moins de deux mois de l’année 2025, soit la première année sur laquelle porte la reconnaissance quinquennale. Il y a urgence. Ces centres vont-ils devoir commencer l’année sans connaître leur enveloppe budgétaire?

Le décret du 25 mai 2023 relatif à la conservation et à la valorisation des archives d’intérêt patrimonial prévoit bien l’indexation des subventions et nous nous en réjouissons. Cependant, les centres d’archives privées font face à d’importantes difficultés financières depuis des dizaines d’années. Leur situation s’est encore fortement dégradée ces derniers temps en raison de l’augmentation des coûts de l’énergie, des multiples indexations salariales, etc. J’avais d’ailleurs alerté votre prédécesseure il y a quelques mois à ce sujet.

De plus, le décret du 25 mai 2023 prévoit une période de transition entre 2024 et 2026. Or, les moyens budgétaires nécessaires pour permettre aux centres d’archives privées de fonctionner durant cette période n’ont pas été revus. Ainsi, la subvention allouée aux opérateurs reconnus est retombée à son montant de 2022.

Madame la Ministre, quand les résultats seront-ils communiqués aux centres d’archives privées? Combien de dossiers ont été soumis? De nouveaux centres feront-ils l’objet d’une reconnaissance et d’un subventionnement? Le cas échéant, lesquels?

Êtes-vous attentive à la répartition géographique des centres d’archives privées? La province de Luxembourg n’en compte aucun, alors que la province de Liège en héberge deux.

Comment le budget est-il réparti entre ces différents centres? Les missions complémentaires prévues par le décret du 25 mai 2023 seront-elles bien financées?

Envisagez-vous des actions complémentaires ou des aides exceptionnelles pour assurer la pérennité et le développement des centres d’archives privées au sein de notre Fédération?

Depuis votre entrée en fonction, avez-vous rencontré les responsables de ces centres? Si oui, qu’est-il ressorti de vos discussions? Dans le cas contraire, une rencontre est-elle bientôt prévue?

Réponse de la Ministre-Présidente :

Madame la Députée, le dossier auquel vous faites référence est actuellement pris en charge par mon cabinet. La semaine passée, nous avons rencontré les services compétents de l’administration pour faire le point.

Vous soulignez, à juste titre, l’incertitude qui pèse sur les centres d’archives privées à l’approche de 2025, première année de la nouvelle reconnaissance quinquennale. J’entends bien la nécessité pour ces institutions d’obtenir une réponse rapide quant à leur financement afin d’entamer l’année sereinement.

Le budget 2025 de la Fédération Wallonie-Bruxelles sera présenté dans deux semaines. Vous verrez qu’il ne prévoit pas de revalorisation des articles budgétaires dédiés aux centres d’archives privées.

Je ne peux que regretter que le gouvernement précédent, qui a adopté le dispositif en 2023, ait négligé son impact budgétaire. Cet impact budgétaire existe bien et il n’a pas été acté. Par conséquent, il n’est pas considéré dans la trajectoire budgétaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pire encore, alors que le décret du 25 mai 2023 relatif à la conservation et à la valorisation des archives d’intérêt patrimonial est entré en vigueur le 1er janvier 2024 et que son arrêté d’application a été approuvé en février 2024, le budget initial 2024 ne prévoyait pas les moyens d’honorer cette politique.

Je dois vous confesser que ce n’est pas ma manière de travailler. Ce n’est pas la première fois que je suis confrontée à une telle situation, puisque l’impact budgétaire du décret du 4 avril 2024 relatif au subventionnement des secteurs professionnels des Langues, des Lettres et du Livre n’a pas non plus été acté par le gouvernement précédent.

Il n’empêche que la situation que vous soulevez doit être considérée avec la plus grande attention. Le décret du 25 mai 2023 détermine la procédure de reconnaissance et de subventionnement encadrant le dépôt, en mars dernier, de 15 demandes recevables. Ces demandes ont été analysées par la Commission des patrimoines culturels.

Cinq de ces 15 demandes émanaient d’institutions ne disposant pas d’une convention de transition à la veille de l’entrée en vigueur du décret précité. Les 10 autres demandes émanaient d’institutions disposant d’une convention de transition, dont deux centres concessionnaires, à savoir les Archives et musée de la littérature (AML) et le Mundaneum, qui conservent et mettent en valeur des archives appartenant à la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le décret du 25 mai 2023 prévoit également que les demandes de reconnaissance soient priorisées en fonction de différents critères. Nous veillons également à ce que l’ensemble du territoire et des populations de la Communauté française soient bien couverts. Lors de la remise des avis, nous prenons donc bien en compte la question du territoire, que ce soit le territoire dont le centre d’archives privées
conserve des fonds ou l’endroit où il est installé. Ceci étant dit, pour qu’il y ait reconnaissance, il faut qu’il y ait demande. Aucun centre d’archives privées de la province de Luxembourg n’a remis de dossier à ce jour.

J’en viens à la question budgétaire. Le budget nécessaire à la reconnaissance de l’ensemble des centres ayant reçu un avis positif de la part de la Commission des patrimoines culturels, ainsi qu’à la couverture de leurs missions de base et de leurs missions complémentaires, s’élève à un peu moins de 1,3 million d’euros. Je ne suis pas en mesure d’octroyer ces moyens pour l’instant. Avec l’appui des services de mon administration et sur la base des éléments du décret du 25 mai 2023, mon cabinet travaillera à une nouvelle proposition d’ajustement des crédits dans les prochains mois. Une attention particulière sera portée à la question des centres d’archives privées, comme il en est d’ailleurs fait mention dans la Déclaration de politique communautaire (DPC).

Réplique de la Députée :

Madame la Ministre-Présidente, ce ne sont malheureusement pas de bonnes nouvelles. Vous dites que vous avez fait le point avec l’administration la semaine dernière, mais qu’il n’y aura pas de revalorisation financière et qu’aucune aide exceptionnelle ne sera dégagée lors des travaux budgétaires du mois de décembre. J’en suis navrée.

Je suis aussi très anxieuse pour les centres d’archives privées et ceux qui y travaillent. J’ai rencontré les responsables de l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES) de Seraing. Ce sont des personnes motivées, enthousiastes, enthousiasmantes et fières de faire un travail de mémoire et de conservation d’un patrimoine tout à fait extraordinaire. J’ai même pu toucher des feuilles que je n’aurais jamais imaginé lire un jour. C’était très instructif. J’ai beaucoup de peine pour eux. Ils vont être confrontés à de grandes difficultés budgétaires à partir de l’année prochaine.

J’espérais une bonne nouvelle, ne serait-ce qu’en matière d’aide exceptionnelle. Ce n’est pas le cas. Je comprends vos arguments, mais je vous invite à vous rendre à Seraing pour rencontrer les responsables de l’IHOES. Je vous y accompagnerais avec plaisir.

Source : Site du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Compte-rendu de la réunion de la Commission de la Culture, de l’Éducation permanente, des Relations internationales, des Affaires générales, du Règlement et du Contrôle des communications des membres du gouvernement. – Séance du mardi 12 novembre 2024. Cette version n’engage ni le Parlement, ni les orateurs.