FWB – Suivi de la mise en oeuvre du décret relatif à la lutte contre le violences faites aux femmes

Un décret relatif à la lutte contre les violences faites aux femmes a été voté le 3 mai 2019 pour prendre des mesures concrètes en matière de lutte et de prévention. Qu’en est-il du suivi de la mise en œuvre de ce décret ? Un agenda est-il établi ?

Question de Sabine ROBERTY à Bénédicte LINARD, Ministre de l’enfance, de la santé, de la culture, des médias et des droits des femmes

Madame la Ministre, 21 féminicides ont été recensés depuis le 1er janvier en Belgique. Vous avez rappelé dernièrement ce chiffre en séance plénière du 6 novembre dernier, après les décès de Jill Himpe et d’Aurélie Montchéry, toutes deux tombées sous les coups de leur ex-compagnon. À titre personnel, vous avez déjà eu l’occasion de démontrer votre volonté de collaborer avec vos homologues, d’aller à la rencontre des associations, d’être présente sur le terrain et de prioriser les mesures à prendre.

Le Parlement a voté un décret relatif à la lutte contre les violences faites aux femmes le 3 mai 2019 qui dispose de prendre des mesures concrètes en matière de prévention et de lutte contre les violences à l’égard des femmes. Le texte prévoit la mise en place d’un comité de coordination à la lutte contre les violences faites aux femmes. Il aura pour missions principales de remettre une proposition de plan quinquennal de lutte contre les violences faites aux femmes et d’en assurer le suivi ainsi que de veiller à l’accessibilité des informations ou des divers outils éducatifs et remettre au gouvernement des avis motivés sur les décisions de reconnaissance des collectifs d’associations de lutte contre les violences faites aux femmes.

Pouvez-vous faire le point sur la situation ?

Un agenda est-il déjà fixé pour la mise en œuvre de ce décret et la reconnaissance des collectifs d’associations ?

Quelle place occupe-t-il dans l’ensemble du travail législatif que vous avez déjà amorcé avec vos homologues ?

Pouvez-vous revenir sur les actions programmées ?

Enfin, dans le décret, la prostitution est reprise comme un type de violence sexuelle faite aux femmes. Récemment, les travailleuses du sexe ont témoigné de ne pas être assez écoutées et associées aux réflexions. Une consultation de ce secteur est-elle envisagée ?

Réponse de Madame LINARD, Ministre de l’enfance, de la santé, de la culture, des médias et des droits des femmes

Coconstruction! Je me permets de répéter le mot coconstruction. Il résume bien la manière dont je souhaite travailler lors de la législature actuelle. Celles et ceux qui ont lu la presse ce week-end sur PointCulture voient que cela porte ses fruits. Derrière ce mot, la coconstruction, se cachent tous les acteurs et actrices de terrain, mais aussi mes homologues régionales, comme Mmes Morreale, Ben Hamou et Trachte, le personnel de l’administration, et bien d’autres. Les rencontrer est ma première priorité. Vendredi passé, j’ai rencontré mes homologues régionales Christie Morreale et Nawal Ben Hamou pour définir la manière de travailler ensemble. Nous avons déterminé un enjeu prioritaire sur le thème de l’égalité des genres, à savoir la question des violences faites aux femmes. Concrètement, et à très court terme, nous allons lancer les procédures d’activation d’une CIM sur la lutte contre les violences faites aux femmes. L’objectif est qu’elle soit validée par le prochain comité de concertation, malgré le délai très court. Comme nous le savons, cette question est transversale et appelle des réponses multiples à différents échelons, sur les plans judiciaire, de la prévention, de la sensibilisation des jeunes ou de l’écoute aux victimes… Nous devons unir nos forces et avancer ensemble face aux violences faites aux femmes et face aux féminicides. Au-delà de la CIM, nous avons convenu avec Mmes Morreale et Ben Hamou d’organiser une réunion de travail d’ici fin décembre, notamment pour la préparer. À trois, nous sommes plus fortes pour plaider et créer une dynamique ambitieuse.

Le 25 novembre est la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Je participerai dans ce cadre à plusieurs moments d’échanges avec les actrices et acteurs de terrain sur des thématiques sur lesquelles mon cabinet travaille. Nous rencontrerons une délégation de la coalition « Ensemble contre les violences » qui présentera des façons de mieux opérationnaliser la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul. Le harcèlement des femmes journalistes sera abordé lors du colloque organisé lundi prochain par la RTBF, intitulé « Les réseaux sociaux, une arme contre les femmes journalistes ? ».

Au-delà de cette transversalité avec le niveau régional, je vois plusieurs axes de travail sur les violences faites aux femmes et les droits des femmes. Il s’agit, premièrement, de la mise en route des outils opérationnels transversaux. Le deuxième axe concerne l’aspect préventif, dès l’enfance, avec un focus particulier sur les violences dans les jeunes couples. Troisièmement, il s’agit du traitement médiatique de la violence faite aux femmes.

Le comité de coordination à la lutte contre les violences faites aux femmes est dans sa phase de constitution. Il s’agit maintenant de recruter 18 membres représentant les administrations, la société civile, le secteur académique, l’ARES et l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE).

Un premier travail a déjà été effectué par la direction de l’Égalité des chances pour le plan quinquennal de lutte contre les violences faites aux femmes, en collaboration avec les auteurs du plan intra-francophone de lutte contre les violences basées sur le genre. Pour poursuivre le travail d’intégration de la dimension de genre dans l’ensemble des politiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles, un plan quinquennal visant la pleine égalité entre les femmes et les hommes sera adopté par le gouvernement dans les six prochains mois. Il me tiendra à cœur de coordonner ce travail en tant que ministre des Droits des femmes et de mettre en avant des mesures ambitieuses dans mes autres compétences. Le gouvernement partage cette préoccupation.

Sachez par ailleurs que, dans mon cabinet, une cellule «Droit des femmes» a été créée. Une personne est également chargée de la question des droits des femmes dans tous les autres secteurs, particulièrement en culture et en média, car ce sont deux secteurs dans lesquels l’égalité de genre doit être mieux abordée. J’ai donc recruté à la tête de la cellule pour les médias une personne issue de l’AJP, Sophie Lejoly qui a travaillé sur les études du traitement médiatique des victimes de violences conjugales ou sexistes. Elle sera attentive à ce que nous puissions poursuivre le travail mené par l’AJP.

Après les lettres, passons aux chiffres, et plus exactement à ceux relatifs aux budgets établis en fonction du genre. Avant toute chose, j’aimerais préciser que les centres de prise en charge pluridisciplinaires ne dépendent pas de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais bien du pouvoir fédéral. Il va donc sans dire que je ne suis pas en mesure d’introduire ou de poursuivre un quelconque financement de ces centres. Suivant la dynamique politique que j’évoquais et en raison des contraintes de temps, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a voulu se limiter à un exercice budgétaire technique. Cependant, presque tous les AB ont déjà été codés, justifiés et validés. Parmi les 1 297 AB qui ont été codés, 427 AB, soit 32,92 %, ont été classés en code 1, c’est-à-dire qu’ils concernent des dépenses qui ne sont pas susceptibles d’avoir un impact différent pour les hommes et les femmes; 9 AB, soit 0,69 %, ont été classés en code 2, ce qui signifie qu’ils représentent des dépenses spécifiques attribuées à des activités favorisant l’égalité des hommes et des femmes; 826 AB, soit 63,69 %, ont été classés en code 3, c’est-à-dire qu’ils concernent des dépenses directement liées au genre et donc susceptibles d’avoir un impact différent pour les femmes et les hommes; 35 AB, soit 2,70 %, ont été classés en code 4, lequel regroupe les dépenses qui ne relèvent pas des compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En termes de crédits d’engagement, la répartition est la suivante : les AB repris sous le code 1 concernent 803 771 000 euros, soit 7,33 % des crédits analysés; ceux du code 2 concernent 1 583 000 euros, soit 0,02 % des crédits analysés; ceux du code 3 concernent 9 513 717 000 euros, soit 86,75 % des crédits analysés; ceux du code 4 concernent 647 363 000 euros, soit 5,90 % des crédits analysés. Ainsi, le nombre d’AB spécifiquement dédiés à l’égalité des sexes est extrêmement limité.

Pour avoir une estimation concrète de l’analyse des budgets sous le prisme du genre, le codage et la justification devraient également être effectués au moment de l’attribution de la dépense, ce qui permettrait de connaître précisément les dépenses de code 2 dans les dépenses globales de code 3. Une réflexion est en cours à l’administration sur la possibilité d’intégrer la codification et la justification des dépenses dans le processus comptable SAP lors de l’attribution de chaque dépense.

J’en viens à la prévention. Il est important d’adapter les outils de communication pour toucher les publics jeunes publics qui, nous le savons, ont un accès et une consommation de l’information différente. Dans ce cadre, j’ai d’ores et déjà décidé de soutenir une nouvelle diffusion de la campagne «#ARRÊTE, c’est de la violence», qui sera visible sur les réseaux sociaux, principalement sur Facebook, Instagram et YouTube. Une réflexion doit être engagée pour renforcer cette dynamique.

Aujourd’hui, par exemple, Facebook n’est plus le canal le plus utilisé par les jeunes publics. Je vous informe également du lancement d’un guide de bonnes pratiques entre le secteur associatif et celui de l’aide à la jeunesse en vue de garantir la sécurité des victimes mineures de violences liées à l’honneur et/ou au mariage forcé. Je vais maintenant aborder le traitement médiatique des faits de violence sexiste. J’ai pris connaissance de l’étude et des recommandations de l’AJP, comme celle de contextualiser les faits, de choisir soigneusement son vocabulaire ou encore de ne pas hésiter à solliciter les experts de terrain. Il s’agit là de quelques éléments de cette étude qui expliquent comment – c’est le cas dans la charte espagnole par exemple – les médias peuvent traiter autrement les victimes de violence. Je me tiens à disposition de l’AJP, des chercheuses et des rédactions pour discuter de la meilleure manière de mettre en œuvre ces recommandations. À ce propos, je rappelle également l’engagement pris par la conférence des rédactions de la RTBF en décembre 2017 « Il ne saurait être question de banaliser ces violences contre les femmes même si elles sont dramatiquement répétitives. Si tous les termes utilisés dans les textes proposés par les divers pays ne sont pas duplicables, nous nous engageons à en promouvoir l’esprit au sein de nos équipes, en particulier pour le respect des victimes et les mots pour nommer ces meurtres, assassinats ou violences ».

In fine, le modèle d’une charte comme l’ont fait les Espagnols est une piste sur laquelle je vais travailler. Cette charte reprend des mesures pionnières regroupées dans la loi organique du 28 décembre 2004 qui fait du combat contre les violences de genre une grande cause nationale, avec des bureaux d’aide aux victimes, une assistance juridique et psychologique gratuite, des tribunaux spécialisés dotés de compétences civiles et pénales. En Espagne, la violence de genre est traitée comme un problème de société et non comme un fait divers.

Pour être complète, je vous informe également que des modules de formation pour le personnel des maisons de justice sont organisés et que depuis la rentrée académique, quatre groupes de travail ont été mis sur pied afin d’intégrer dans les différentes filières de l’enseignement supérieur des contenus de cours relatifs aux violences faites aux femmes. Il s’agit des violences conjugales ou sexuelles, des mutilations génitales féminines, des mariages forcés et des violences liées à l’honneur. Ces groupes de travail réunissent des enseignants de l’enseignement supérieur et des professionnels du terrain. Je vous remercie pour vos questions et espère vous voir à la manifestation du 24 novembre pour que nous dénoncions, toutes et tous ensemble, les violences faites aux femmes !