Photos retouchées et réseaux sociaux : protège-t-on assez nos jeunes ?

Question orale du 12 octobre 2021 de Sabine ROBERTY à Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes sur « les photos retouchées sur les réseaux sociaux »

Au cours de l’été 2021, le Parlement norvégien a adopté une loi obligeant la signalisation des photos retouchées utilisées dans le cadre de publications promotionnelles sur les réseaux sociaux. La volonté de ce parlement consiste à décourager la propagation de clichés irréalistes qui participent à maintenir une certaine idée stéréotypée de la beauté. Cette loi affectera donc bien les influenceurs et les publicitaires.

À cet égard, l’incidence négative des réseaux sociaux sur des jeunes en pleine construction n’est plus à prouver. Anorexie ou encore dysmorphophobie, les troubles liés à l’image sont courants. La dysmorphophobie, pour ne citer qu’un exemple, concernerait une personne sur cinquante et serait en constante augmentation.

En 2017, une étude britannique, menée par la Royal Society for Public Health (RSPH) et le Young Health Movement (YHM), l’avait d’ailleurs mis en évidence. Instagram, majoritairement consacré au partage d’images, serait le plus nocif. Sur 1 500 Britanniques de 14 à 24 ans interrogés, la moitié dit que Facebook et Instagram exacerbent leur sentiment d’anxiété et sept personnes sur dix affir[1]ment qu’ils contribuent à leur donner une mauvaise image de leur corps. En conséquence, la RSPH avait notamment recommandé de repérer les photos retouchées. C’est dans ce sens et dans le même esprit que la Norvège a légiféré en la matière. En cas de non-respect de ces dispositions, les contrevenants risqueraient une amende.

Madame la Ministre, que pensez-vous des mesures adoptées par la Norvège ? De telles dispositions pourraient-elles être instaurées par la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Je sais bien évidemment que la protection des consommateurs ne dépend pas de vos compétences, mais je vous interroge ici en votre qualité de ministre des Médias.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait par ailleurs rédigé une note d’orientation relative à la lutte contre les contenus illicites sur internet, dont sont particulièrement victimes les jeunes. Selon le CSA, l’autorégulation et le cadre juridique qui existent actuellement à cet égard sont insuffisants pour répondre efficacement à cette problématique. Or, si les photos retouchées ne sont pas des contenus illicites à proprement parler, elles n’en demeurent pas moins néfastes pour les jeunes. Qu’en pensez-vous ? Quelle est votre marge de manœuvre à ce sujet ?

Enfin, notre Parlement a adopté, le 6 novembre 2013, la proposition de résolution visant à mieux prévenir et combattre l’anorexie mentale. Il y était notamment question de renforcer la lutte contre l’incitation à la maigreur lors de la diffusion d’images à caractère commercial, de continuer une concertation et une collaboration optimale «avec les représentants de l’industrie de la mode belge, les représentants de concours de beauté, les représentants des médias et les publicitaires» quant au «code de bonne conduite destiné à lutter contre l’anorexie mentale chez les top-modèles, les participants à des concours de beauté», mais aussi «d’imposer une signalétique “image retouchée afin d’amincir tout ou partie du corps”» et même «d’examiner la faisabilité d’une interdiction des images corporelles retouchées pour amincir le corps». Cette résolution a-t-elle été suivie d’effet ? Comment avez-vous prévu de l’appliquer en vertu de vos compétences croisées de ministre des Droits des femmes et des Médias ?

Réponse de Bénédicte LINARD, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes.

Le baromètre de la communication commerciale dans les services télévisuels actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles, réalisé par le CSA en 2017, a abordé en son temps la question de la représentation des corps féminins et masculins. S’agissant de la morphologie des personnages, une large majorité des intervenantes et intervenants, soit 98,65 % d’entre eux, se classent dans des morphologies dites moyennes, de tendance mince à plus forte. Toutefois, nous observons une nette surreprésentation des personnes à tendance mince: 92,11 % d’entre elles ont ainsi été encodées dans cette catégorie. Plus précisément, 93,27 % des femmes ont été catégorisées comme minces, soit 762 sur 817, et 91,03 % des intervenants masculins, soit 802 sur 881.

Néanmoins, la question de la représentation des corps et des possibles altérations d’images dépasse évidemment largement le cadre des médias audiovisuels. C’est pourquoi l’obligation d’indiquer la mention «photo retouchée» sur les clichés qui le sont est reprise dans le Plan «Droits des femmes» que j’ai défendu dès mon arrivée en tant que ministre. J’ai également veillé à ce que la thématique des publicités sexistes et hypersexualisées, qui ont un impact sur les représentations que se créent les internautes – notamment les plus jeunes –, soit inscrite dans le décret du 4 février 2021 relatif aux services de médias audiovisuels et aux services de partage de vidéos. Conformément à ce décret, j’ai ensuite saisi le Collège d’avis du CSA afin qu’il rédige un code de conduite à ce sujet. D’après mes informations, il devrait l’élaborer au début de 2022.

Ce n’est évidemment qu’une première étape, et je compte continuer le travail vers plus de réalisme des contenus publicitaires et de protection des publics. Comme vous l’avez souligné, Madame la Députée, tout n’est pas entre mes mains, et j’examinerai dans les prochains mois comment avancer avec les autres ministres compétents.

Réplique de Sabine ROBERTY

Je note qu’un code de conduite rédigé par le CSA verra déjà le jour en 2022. Il s’agit d’une très bonne nouvelle qui me donnera à nouveau l’occasion d’aborder cette thématique qui m’est chère. Je tenais également à mettre en lumière d’autres initiatives positives déjà existantes, comme la campagne «#MontrezNous», qui entend montrer les femmes telles qu’elles sont, les hashtags #objectifbikinifermetagueule et #skinpositivity, sans oublier la campagne «Je poste, donc je suis?!» de la Fédération des centres de planning familial (FPS) lancée en juillet dernier et qui propose un jeu de cartes interactif comme autre outil pédagogique qui permet d’exprimer son point de vue, de faire réfléchir et de débattre à propos de l’hypersexualisation et des normes de beauté sur les réseaux sociaux.

 

Photo de Merlin Lightpainting provenant de Pexels